L’UNESCO recommande que Venise soit inscrite rapidement sur la liste du patrimoine en péril. Pas surprenant, la Sérénissime est assaillie en permanence par des hordes de touristes, dont le nombre annuel avoisine les 30 millions ! L’interdiction, depuis 2021, de laisser entrer les gros navires de croisière dans la lagune ne suffit pas à contenir le flux de visiteurs.

Il faut dire que les voyages ont repris en force cet été. Selon l’Association du transport aérien international, 4,35 milliards de personnes voyageront en 2023, un nombre comparable à 2019 (4,54 milliards).

Les compagnies aériennes font des affaires d’or, comme le rapportait le Financial Times à la fin de juillet : International Airlines Group (IAG), propriétaire de British Airways, et Air France-KLM enregistrent des profits records de 1,25 milliard d’euros pour le deuxième trimestre seulement.

Le hic : tout le monde veut voyager aux mêmes endroits. Selon l’Organisation mondiale du tourisme, 95 % des touristes visitent moins de 5 % des lieux dans le monde. En France, qui demeure le pays le plus visité de la planète, le gouvernement estime que 80 % de l’activité touristique est concentrée sur 20 % du territoire, un déséquilibre qui hypothèque grandement certaines régions comme la Bretagne, la Côte d’Azur et, bien sûr, Paris, la ville la plus visitée au monde avec ses 44 millions de touristes annuels.

On ne peut évidemment pas comparer la situation québécoise à celle des pays d’Europe, mais à une plus petite échelle, la Gaspésie a vécu un phénomène similaire lorsqu’en pleine pandémie, les touristes se sont rués vers les plages gaspésiennes avec des conséquences désastreuses pour les sites visités.

Le maire de Québec Bruno Marchand se préoccupe, lui aussi, des ravages du tourisme. Il ne souhaite pas que le Vieux-Québec, où les commerces de proximité ont cédé la place à des commerces axés vers les touristes, ne devienne un « Disney en carton ».

C’est là tout le paradoxe du tourisme de masse : les visiteurs à la recherche d’authenticité tuent l’authenticité.

En trop grand nombre, leur impact devient nocif. La transformation de logements en hébergements touristiques provoque une hausse des prix et participe à la crise du logement. Des quartiers se transforment.

PHOTO ÉRIC CLÉMENT, ARCHIVES LA PRESSE

Les touristes affluent à Venise, près du palais des Doges.

La paix sociale est perturbée par la présence d’un trop grand nombre de visiteurs qui ne respectent pas toujours les lieux. Et c’est sans compter l’impact environnemental des voyages qui est un sujet en soi.

Pendant que certaines régions du monde tentent d’attirer les équipes de tournage pour mettre leur ville ou leur région en valeur – ce qu’on nomme le ciné-tourisme ou le « jet-setting » –, d’autres souffrent du succès de certaines séries qui traînent dans leur sillage un trop grand nombre de curieux. L’exemple d’Emily in Paris vient immédiatement à l’esprit, mais on peut aussi penser à White Lotus pour la Sicile, ou à la série Lupin pour les falaises d’Étretat en Normandie où la population est multipliée par dix durant la haute saison.

Dans la région bordelaise, on parle maintenant de la « côte d’azurisation » de la Gironde. Bien sûr, on ne dédaigne pas les retombées économiques (105 millions pour Bordeaux seulement cette année), mais à quel prix ? Les deux millions de visiteurs qui grimpent la dune de Pilat chaque année seraient en grande partie responsables de son érosion. En 50 ans, la dune a reculé de 200 mètres !

Que faire pour reprendre le contrôle ? Certains diront qu’on devrait carrément interdire les voyages qui génèrent des quantités astronomiques de gaz à effet de serre (GES). Nous n’en sommes visiblement pas là.

Pour mieux contrôler les pics d’affluence et les flux de touristes, la France vient d’adopter un plan qui prévoit entre autres la mise sur pied d’un observatoire qui documentera les déplacements sur le territoire français.

Plusieurs régions de l’Hexagone adoptent déjà des mesures pour limiter le nombre de visiteurs. Dans les îles du parc national de Port-Cros, dans le Var, on a instauré des quotas en 2021 : 6000 visiteurs par jour, pas un de plus. Même approche dans l’île de Bréhat en Bretagne : en semaine, de la mi-juillet à la fin d’août, on accepte seulement 4700 personnes dans l’île.

Chez nous, la ville de Percé en Gaspésie a tenté d’imposer une redevance touristique, mais ce faisant, elle a outrepassé les pouvoirs accordés aux municipalités, comme l’a souligné un jugement de la Cour supérieure. Une réflexion reste toutefois à faire sur la mise en place de mesures dans les régions québécoises les plus visitées – pensons aux Îles-de-la-Madeleine.

On ne peut pas empêcher un cœur d’aimer et, de la même façon, on ne peut pas empêcher les touristes de rêver aux plages de Nice, à la Fontaine de Trévi ou à la tour Eiffel.

Par contre, on peut faire naître d’autres coups de cœur en faisant découvrir d’autres régions, un des objectifs du plan français qui propose de faire la promotion de régions moins connues comme l’Auvergne ou la Picardie.

Certains vont même jusqu’à prôner le « démarketing », c’est-à-dire la diffusion d’images de lieux envahis par les touristes (plages ultrabondées, salles de musée qui débordent, files d’attente interminables) afin de décourager les touristes de choisir une destination. Mais à voir les visiteurs s’agglutiner devant la Mona Lisa au Louvre, il semble que cette approche soit plus ou moins efficace.

À moyen et à long terme, la crise climatique va nous forcer à revoir notre rapport au voyage. N’attendons pas qu’il nous soit carrément interdit de nous déplacer pour réfléchir à des façons plus intelligentes, et plus durables, de voyager.