Winston Churchill disait que les intrigues politiques en Russie sont comme un « combat de bulldogs sous un tapis ». De l’extérieur, on n’entend que des grognements et ce n’est que lorsque les os jaillissent qu’on voit clairement qui est le vainqueur.

En ce moment, nul besoin de relever un coin du tapis pour discerner la lutte féroce qui se joue entre le président Vladimir Poutine et le patron du groupe Wagner Evguéni Prigojine, qui rue dans les brancards depuis des mois.

Le tonitruant personnage a reproché aux élites d’envoyer leurs enfants hors du pays, tandis que les Russes envoient les leurs sur le champ de bataille. Il a accusé les généraux de l’armée de l’avoir privé de munitions, alors que ses mercenaires tombaient au front.

Mais cette fois, le chef du groupe paramilitaire a défié ouvertement le Kremlin, en prenant le contrôle de l’importante base militaire russe de Rostov, tout près de la frontière de l’Ukraine, pour ensuite lancer ses troupes à l’assaut de Moscou.

Même si Prigojine a ensuite fait marche arrière, cette rébellion marque un moment charnière. Elle dévoile au grand jour les fissures au sein des forces russes dont le commandement en Ukraine ressemble à des portes tournantes.

Jusqu’à maintenant, le président Poutine avait réussi à garder le contrôle, même s’il est clair que son « opération militaire spéciale » en Ukraine, qui devait durer seulement quelques jours, s’est transformée en guerre d’usure où les morts s’accumulent.

Face au coup de force du groupe Wagner, le président russe a promis de punir les « traîtres » qui ont donné « un coup de poignard dans le dos de notre pays ». Ou serait-ce plutôt dans son propre dos ? L’image rappelle Jules César tombant sous le couteau de son fils adoptif.

Car c’est le président russe qui a mis au monde le patron du groupe Wagner. Après avoir passé sa vingtaine en prison, Evguéni Prigojine est devenu le « cuisinier » de Vladimir Poutine, qui s’y connaît en la matière : son grand-père était le chef de Lénine et de Staline.

Poutine a fait de Prigojine un oligarque de l’alimentation. Il fournissait les écoles et l’armée avant de lancer son groupe paramilitaire dont les « musiciens », comme il appelle ses mercenaires, ont fait entendre leurs armes en Crimée, en Syrie, en Libye et maintenant en Ukraine.

Celui qu’on surnomme encore le « cuisinier de Poutine » voulait-il devenir chef à la place du chef ? Pour l’instant, il se dirige plutôt vers la Biélorussie, dont le président prorusse a négocié le repli du groupe Wagner.

Mais ceux qui rêvent que Vladimir Poutine soit écarté du pouvoir pour qu’on en finisse avec la guerre en Ukraine devraient y penser à deux fois. Parfois, il faut se méfier de ce qu’on souhaite.

Evguéni Prigojine n’est pas exactement un enfant de chœur. La massue que ses troupes utilisent pour défoncer la cervelle des déserteurs est devenue la marque de commerce du groupe Wagner. Prigojine a d’ailleurs qualifié d’« excellente production » une vidéo où on les voit à l’œuvre.

À glacer le sang.

Manifestement, le président russe a créé un monstre qui se retourne contre lui. Poutine a envahi l’Ukraine sous prétexte que l’OTAN menaçait son territoire. Mais le voilà qui admet lui-même qu’une « guerre civile » se profile en Russie. Or, ce danger n’est pas le fruit d’un sombre plan ourdi par l’Occident, mais plutôt de dissensions internes, dommages collatéraux de l’invasion de l’Ukraine, qui menacent désormais la stabilité de la Russie.

Pour l’instant, le groupe Wagner semble rentrer dans le rang. Mais pour combien de temps ?

Si la pression remonte, si le président russe sent qu’il n’a plus rien à perdre, on pourrait se retrouver dans une situation encore plus explosive au sein d’un pays qui dispose de l’arme atomique, un pays qui ne s’est pas gêné pour envahir son voisin.

Alors que les Russes s’entredéchirent sous le tapis, l’OTAN doit plus que jamais rester unie derrière l’Ukraine. Serrer les coudes pendant que l’ennemi creuse sa tombe.