Laval tente un projet pilote et le parc Jean-Drapeau les autorisera tout l’été. Les trottinettes électriques en libre-service sont de retour, pour le meilleur et pour le pire. Nos deux éditorialistes en débattent.

Nathalie Collard : Mardi dernier, on apprenait dans nos pages que les trottinettes électriques « n’avaient pas dit leur dernier mot ». Quelle mauvaise nouvelle ! J’étais soulagée quand la Ville de Montréal les a interdites, en 2020. Pour moi, les trottinettes électriques sont synonymes de nuisance et de danger public. À Paris, où on a quand même une grande tolérance au chaos, les Parisiens ont voté pour l’interdiction des trottinettes en libre-service. On devrait les imiter.

Philippe Mercure : J’ai eu la réaction inverse quand j’ai appris le retour de ces petits engins sympathiques et non polluants. Quelle belle nouvelle ! On n’aura jamais trop d’options de mobilité durable en ville. Les trottinettes en libre-service sont dans la lignée de BIXI et de Communauto. Elles s’inscrivent dans notre époque, dans la façon dont on veut penser nos villes. OK, elles ont raté leur première impression en 2019. Mais je suis un partisan de la deuxième chance. On peut apprendre des erreurs commises. J’ai déjà hâte de sillonner le parc Jean-Drapeau, visage au vent, en remerciant les électrons d’Hydro-Québec pour la balade sans sueur et sans effort.

Nathalie Collard : Si elles étaient confinées dans un endroit délimité, je pourrais les tolérer. Mais tel n’est pas le plan de toutes ces entreprises inscrites au registre des lobbyistes pour faire mousser leur engin. Les Lime, Bird, Lyft et autres souhaitent que le ministère des Transports et de la Mobilité durable modifie sa loi pour permettre à nouveau les trottinettes sans ancrage dans nos villes. Ça signifierait le retour potentiel de trottinettes qui zigzaguent entre les voitures dans les rues cabossées et congestionnées de Montréal, conduites par des gens qui ne savent pas toujours les maîtriser. Ça fait peur.

Philippe Mercure : Ce n’est pas aux Lime et aux Bird de ce monde d’édicter les règles, mais aux gouvernements. Si le privé veut les suivre, qu’il embarque. Sinon, qu’il passe son tour. On veut que les trottinettes soient stationnées dans des endroits désignés ? Rendons-le obligatoire et faisons-le respecter. Et si la solution passe par des ancrages comme ceux de BIXI, pourquoi pas ? Mon impression, de toute façon, est qu’après avoir été bannies trois ans, les entreprises ont compris et marcheront droit. Quant aux rues cabossées, c’est un autre débat. Mais on ne peut quand même pas invoquer les nids-de-poule pour interdire les trottinettes ! À ce compte-là, il faudrait bannir tout ce qui roule, des planches à roulettes aux camions.

Nathalie Collard : Pour l’instant, il n’est pas question d’ancrage. On parle plutôt de doter les trottinettes d’un GPS et il serait donc impossible de les stationner hors d’une « zone de stationnement ». Notre collègue Henri Ouellette-Vézina a écrit que l’entreprise Bird avait pour sa part développé une technologie qui vérifie l’espace de stationnement « à l’aide de l’appareil photo de votre téléphone portable ». Allô Big Brother ! Tout ça pour avoir le privilège de rouler sur un machin à deux roues ? Pour moi, il est évident que la location de trottinettes doit se faire dans des espaces récréatifs ou touristiques. Je vais être de mauvaise foi ici : est-ce qu’on permet aux petites voitures à quatre conducteurs qu’on voit dans le Vieux-Port d’emprunter les rues de Montréal ? Bien sûr que non. Ce devrait être la même approche pour les trottinettes.

Philippe Mercure : On est capable de gérer un système de vélos en libre-service, dont plusieurs électriques (BIXI est un succès indéniable). Et on serait incapable de le faire pour des trottinettes, qui sont essentiellement des vélos sans selle et sans pédales ? Le modèle existe, calquons-le ! Quant à confiner les trottinettes aux lieux touristiques… Non ! Je rêve de travailleurs qui fendent le cœur de la ville en trottinant sur le REV vers le bureau. De touristes qui filent le long du canal de Lachine en criant « Je reviendrai à Montréal ! ». De citoyens de tous âges qui se moquent de la côte Berri au son d’un doux ronronnement électrique.

Nathalie Collard : Ah, c’est donc toi qui revenais sur ta trottinette en chantant à tue-tête à trois heures du matin en 2019 ? Plus sérieusement, c’est justement à cause du trop grand nombre d’usagers délinquants que la Ville de Montréal avait décidé, à l’époque, d’interdire ces « vélos sans selle et sans pédales » ! On a remis 110 constats d’infraction pour mauvais stationnement (ça incluait aussi les vélos électriques) et 333 infractions pour ne pas avoir respecté le Code de la route. Et on ne parle même pas des accidents. En tout cas, si jamais les villes changent leur fusil d’épaule et décident de donner une deuxième chance à la trottinette électrique, j’irai te porter des fleurs à l’hôpital, c’est promis.

Philippe Mercure : J’ai pour principe que ce qui se passe en 2019 reste en 2019. Je n’ai aucun souvenir d’avoir poussé la note sur une trottinette, mais je t’accorde une chose : il n’y a rien comme ces engins à deux roues pour retrouver son cœur d’enfant. La seule sonorité du mot – « trottinette ! » – suffit à égayer le plus grincheux des hommes. Qu’on y voie l’apocalypse me sidère encore. Pour les fleurs… C’est gentil, mais je tenterai d’être prudent. J’aimerais que cette fois soit la bonne pour les trottinettes. Je promets de ne pas laisser traîner la mienne. Et de ne pas chanter (trop fort).