Le ciel vient de tomber sur la tête des amateurs de sport qui ont un minimum de sens moral et de conscience politique.

Au cours de la dernière semaine, ils ont eu deux très mauvaises nouvelles.

Premièrement, Manchester City, propriété d’investisseurs des Émirats arabes unis, a remporté samedi la Ligue des champions au soccer. C’est la première fois qu’un club-État est couronné meilleur club d’Europe, et par conséquent du monde.

Deuxième mauvaise nouvelle, aux conséquences encore plus graves : l’Arabie saoudite vient d’acheter un sport au complet, le golf, en fusionnant son circuit LIV avec la PGA.

Ce sont deux tristes victoires pour le sportswashing (blanchiment par le sport), cette stratégie où des pays, généralement des régimes totalitaires ou des investisseurs associés à ces régimes, achètent des équipes ou accueillent des évènements prestigieux.

Pour accroître leur influence sur la scène internationale. Et pour faire oublier leurs violations systématiques des droits de la personne.

En juin 2022, l’Arabie saoudite a inauguré le circuit international de golf LIV pour faire concurrence à la PGA, une ligue qui disposait d’un monopole sur le golf de haut niveau. À coups de contrats de centaines de millions, elle a attiré certains des meilleurs golfeurs du monde.

Un an plus tard, l’Arabie saoudite a gagné son pari : la PGA et LIV ont annoncé leur fusion mardi dernier. On parle d’une fusion où le fonds souverain de l’Arabie saoudite est actionnaire minoritaire pour l’instant, mais personne n’est dupe. L’Arabie saoudite investira d’autres milliards dans la nouvelle entité au cours des prochaines années. Ne soyez pas surpris si elle devient un jour l’actionnaire majoritaire. En clair, l’Arabie saoudite prend le contrôle de l’un des sports les plus populaires au monde.

C’est le plus grand coup de blanchiment par le sport jusqu’à présent.

Avec cet investissement, le royaume de Mohammed ben Salmane veut accroître son influence et redorer son image en Occident, particulièrement aux États-Unis. Faire oublier qu’il est le régime autoritaire qui a tué le journaliste Jamal Khashoggi, qui ne respecte pas les droits de la personne ni les droits des femmes, qui traite l’homosexualité comme un crime pouvant entraîner la peine de mort, qui impose la peine de mort à des mineurs. Quinze des dix-neuf terroristes du 11 septembre 2001 avaient la citoyenneté saoudienne.

Le sportswashing est aussi bien implanté au soccer européen.

Les Émirats arabes unis détiennent, par l’entremise d’un membre de la famille royale, Manchester City, gagnant de quatre des cinq derniers championnats britanniques et champion d’Europe depuis samedi.

Le Qatar détient le Paris Saint-Germain, a accueilli la Coupe du monde en 2022, et des investisseurs qataris sont actuellement finalistes pour acheter Manchester United.

L’Arabie saoudite a acheté l’équipe de Newcastle, veut accueillir la Coupe du monde en 2030 et a donné des ponts d’or à Cristiano Ronaldo et à Karim Benzema pour qu’ils finissent leur carrière en Arabie saoudite.

PHOTO OLI SCARFF, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Kevin De Bruyne, de Manchester City, célèbre son but contre Arsenal, le 26 avril, dans un match de la Premier League, en Angleterre.

Le sportswashing menace la parité entre les équipes. Soit, les clubs européens les plus riches ont toujours eu des moyens financiers démesurés par rapport à leurs rivaux. Mais aujourd’hui, rares sont les clubs pouvant suivre le rythme financier imposé par les clubs-États. La Premier League accuse d’ailleurs Manchester City d’avoir triché en ne respectant pas les règles du « fair play » financier pendant neuf ans. Pour quiconque se préoccupe d’une certaine égalité des chances, ce litige est d’une importance capitale…

Autre problème majeur : les amateurs sont pris en otages. Comme le nouveau circuit PGA/LIV est un monopole, les amateurs de golf avec un sens moral se retrouveront devant un malheureux dilemme : a) enrichir et appuyer implicitement l’Arabie saoudite ; b) cesser de regarder le golf.

Que peut-on faire contre ce genre de blanchiment ? Malheureusement pas grand-chose, à part en être conscient et le dénoncer. En Occident, il faut de très sérieuses raisons pour restreindre la liberté d’investir. On voit mal les pays d’Europe désigner leurs équipes de soccer comme un secteur névralgique en matière de sécurité nationale…

D’accord, on peut difficilement demander au sport professionnel, où l’argent est roi, d’être moralement plus pur que le reste de la société.

L’Occident achète le pétrole de l’Arabie saoudite, deuxième producteur mondial. Parce qu’on ne peut faire autrement.

Après avoir joué les durs en campagne électorale, le président américain Joe Biden a plié l’échine devant l’Arabie saoudite. Parce qu’il avait besoin de son pétrole et de son appui dans la guerre en Ukraine.

Le Canada vend pour 15 milliards de chars blindés militaires à l’Arabie saoudite.

Et maintenant, des régimes totalitaires prennent peu à peu le contrôle de pans importants de notre industrie du sport professionnel, qui a une présence énorme dans la vie quotidienne de beaucoup de gens.

Ça se fera sans doute de façon lente et pernicieuse, mais il y aura des conséquences néfastes à laisser les amateurs de sport acclamer des équipes et des athlètes dont les exploits servent principalement à réhabiliter des régimes totalitaires qui ne respectent pas les droits de la personne.