C’est la victoire la plus rapide et la plus décisive dans toute l’histoire du sport-business international. En moins de 18 mois, LIV Golf a passé le K.-O. au prestigieux circuit PGA Tour, qui dominait le golf professionnel depuis 50 ans.

Qui aurait imaginé pareil scénario en juin 2022, lorsque LIV a présenté son premier tournoi ? On savait tous que cette nouvelle ligue profitait de l’appui financier de son actionnaire, le Fonds d’investissement public (FIP) de l’Arabie saoudite. Mais de là à s’imposer aussi rapidement, la marge est énorme.

La « fusion » annoncée mardi représente le triomphe de l’argent. Et dans ce cas précis, comme le rappelle le dicton, l’argent n’a pas d’odeur.

Dès sa création, LIV a été jugé sévèrement parce qu’il est une créature de l’Arabie saoudite, un pays qui bafoue les droits de la personne. Très vite, une distinction morale est apparue : les joueurs épris de liberté et de justice refuseraient les offres de LIV parce qu’ils ne voudraient pas être associés à ce régime.

Certains des meilleurs au monde n’ont cependant pas eu de cas de conscience. Dustin Johnson, Cameron Smith, Brooks Koepka et plusieurs autres ont accepté sans honte les extraordinaires bonis – souvent des dizaines de millions – qu’on leur a consentis pour faire le saut.

PHOTO CHRIS TROTMAN, ARCHIVES LIV GOLF/ASSOCIATED PRESS

Dustin Johnson

Questionnés sur leur sens de l’éthique, la plupart d’entre eux ont répondu – sans rire – que leur objectif était de développer et populariser le golf dans le monde entier. Un peu plus et ils auraient souligné leur propre abnégation !

Leurs collègues restés au PGA Tour sont cependant vite devenus envieux. Pourquoi les bourses offertes dans les tournois LIV étaient-elles de 25 millions US alors qu’eux-mêmes luttaient souvent pour 10 millions de moins ?

Sous l’influence de Tiger Woods et de Rory McIlroy, le PGA Tour a annoncé une majoration notable de ses bourses. Mais la révolution LIV Golf était lancée et rien n’a pu la stopper.

Des analystes croyaient aussi que les meilleurs golfeurs LIV seraient moins performants en raison d’un niveau de compétition plus faible dans leur circuit. Quand Brooks Koepka et Phil Mickelson ont terminé à égalité au deuxième rang du Tournoi des Maîtres en avril dernier, et que Koepka a ensuite gagné le Championnat de la PGA le mois dernier, cette théorie a été reléguée aux oubliettes. *

Sur le plan financier, la « fusion » annoncée mardi entre les deux circuits ressemble plutôt à une prise de contrôle de LIV.

Oui, le PGA Tour nommera la majorité des membres du conseil d’administration de la nouvelle entreprise. Mais le FIP saoudien, avec sa planche à imprimer de l’argent, y investira dès maintenant des sommes additionnelles afin d’accélérer « sa croissance et son succès », selon les mots du communiqué officiel. Voilà qui conférera aux Saoudiens une influence supplémentaire.

Ce n’est pas tout : le FIP obtient un droit de premier refus si l’injection de fonds additionnels devient nécessaire. Concrètement, cela lui donne le droit de décider de l’identité de futurs actionnaires. Le patron du FIP est aussi nommé président du conseil d’administration de la nouvelle entreprise.

L’été dernier, le commissaire du PGA Tour, Jay Monahan, a publiquement posé cette question – qu’il souhaitait embarrassante – aux joueurs ayant quitté son circuit et à ceux pensant le faire : « Avez-vous déjà eu à vous excuser d’être un membre du PGA Tour ? »

Comme Dustin Johnson, Brooks Koepka et tous les autres avant lui, Monahan a maintenant choisi son camp, celui de l’Arabie saoudite. Il a simplement eu besoin de plus de temps pour faire le saut. Oui, on parle bien du même homme qui a expulsé de la PGA les joueurs ayant signé un contrat avec LIV.

Dans toute cette histoire, les joueurs les plus furieux sont sûrement ceux qui ont refusé une offre généreuse de LIV pour des raisons éthiques. Ils croyaient sans doute que la PGA lutterait longtemps contre le circuit. Ils ont peut-être l’impression d’avoir été roulés. Mais au moins, ils peuvent être en paix avec leur conscience.

Beaucoup de questions demeurent en suspens sur la manière dont la « fusion » s’articulera sur le plan sportif.

Il semble évident que des golfeurs LIV participeront de nouveau aux tournois traditionnels de la PGA, ainsi qu’aux compétitions internationales comme la Coupe Ryder, en plus d’obtenir des points au classement mondial. Reste à savoir si une jonction complète des deux circuits est envisagée.

La victoire de LIV illustre aussi combien la PGA s’est endormie en gérant son quasi-monopole : peu d’innovations et surtout un refus de partager une part suffisante de ses revenus avec les joueurs.

LIV a vite flairé l’occasion. Ce circuit, donnons-lui son mérite, a décoincé l’industrie avec ses tournois de 54 trous aux départs simultanés et son ambiance décontractée durant les tournois.

Son initiative la plus spectaculaire demeure toutefois la création d’une compétition par équipes, qui générera un intérêt grandissant dans les prochaines années. D’autant plus que le concept est taillé sur mesure pour le pari sportif, nouvelle source de revenus pour l’industrie du golf.

La nouvelle entreprise « fusionnée » qui gérera le golf professionnel n’a pas encore de nom. Les développements ont été trop rapides. Mais j’ai néanmoins un slogan à suggérer à ses dirigeants, un slogan résumant à merveille les péripéties ayant mené à sa création : « L’argent avant les principes ».

* La PGA et le PGA Tour sont deux organisations différentes. Voilà pourquoi les golfeurs LIV ont pu participer au Championnat de la PGA.