Les Montréalais détiennent un titre peu enviable : champions de la consommation d’eau potable.

Parmi les grandes villes au Québec et au Canada, c’est à Montréal qu’il se consomme le plus d’eau potable. Traduction : c’est à Montréal qu’il se gaspille le plus d’eau potable⁠1. On est aussi parmi les pires grandes villes en Occident à ce chapitre, selon les chiffres de la Ville de Montréal.

Il n’y a pas de quoi être fier.

En pleine crise climatique, alors que 1,4 milliard d’humains vivent dans des zones où le risque de manquer d’eau potable est élevé⁠2, il est indécent de gaspiller à ce point une ressource aussi précieuse.

Les citoyens qui se préoccupent de leur portefeuille devraient aussi être contrariés. Ce n’est pas parce qu’on est au bord du Saint-Laurent que l’eau potable est gratuite. Les villes doivent la traiter, la distribuer aux résidants. Tout ça coûte de l’argent (513 millions par an à Montréal, dont les coûts annuels des dépenses d’infrastructures).

Si on veut réduire le gaspillage, qui nous coûte au moins 100 millions par an⁠3, faudra-t-il prendre notre douche moins longtemps ? Oui et non.

À court terme, le principal problème n’est pas le nombre de minutes passées chaque matin sous la douche. C’est l’état des conduites d’eau de la Ville de Montréal. Une partie d’entre elles ne sont pas en bon état. Résultat : on « gaspille » 26 % de notre eau potable parce qu’elle ne se rend pas aux résidences, pas parce qu’on prend sa douche trop longtemps. C’est une proportion plus élevée que dans la plupart des villes.

Les citoyens peuvent prendre soin d’éviter de gaspiller l’eau. Ces petits gestes comptent.

Mais le plus urgent et le plus important, c’est de réparer les infrastructures d’eau de Montréal pour réduire les fuites.

C’est justement la priorité de l’administration de Valérie Plante, qui vient de lancer une consultation publique sur l’avenir du réseau d’eau potable.

En 2023, les Montréalais paieront 513 millions en taxes foncières au service de l’eau (la ligne « taxe spéciale relative au service de l’eau » sur votre compte de taxes foncières). Ces 513 millions seront réinvestis entièrement pour produire l’eau potable, que ce soit en dépenses de fonctionnement ou en dépenses d’infrastructures.

Le problème, c’est que Montréal n’investit pas assez pour réparer ses infrastructures de l’eau, avoue la Ville elle-même.

Montréal prévoit investir 530 millions par an pendant 10 ans (surtout par emprunt). Or, pour remettre son réseau à niveau, il faudrait investir 962 millions par an pendant 10 ans. Il manque donc 430 millions par année.

Qui paiera la facture ? Malheureusement, l’argent ne pousse pas dans les arbres ni sous l’eau.

On ne voit pas de solution miracle.

Pourrait-on séparer la facture entre la Ville de Montréal (qui trouverait des sous dans les budgets existants en étant plus efficace), le gouvernement du Québec et les contribuables montréalais (une modeste hausse de taxes à moyen terme, une fois la crise de l’inflation terminée) ?

Personne n’aime les hausses de taxes foncières, surtout dans le contexte actuel. Mais l’autre avenue – laisser nos infrastructures de l’eau se dégrader – est encore pire. Et coûtera encore plus cher. Aussi bien faire les investissements nécessaires tout de suite.

Ça, c’est la solution à court terme.

À long terme, il faudra bien un jour se résoudre à installer des compteurs d’eau dans nos résidences.

La mairesse de Montréal Valérie Plante a écarté d’emblée cette idée, qui coûterait environ 100 millions. Elle songe plutôt à une taxe sur les piscines, comme à Longueuil, Saint-Lambert, Saguenay et Prévost.

On comprend que le scandale des compteurs d’eau à Montréal vers la fin des années 2000 ait marqué les esprits. Mais ce n’est pas parce qu’il y a eu de très graves problèmes dans l’attribution de ce contrat qu’il faut jeter à jamais aux poubelles le concept des compteurs d’eau.

À Toronto, toutes les résidences ont un compteur d’eau, et les Torontois paient l’eau potable selon leur consommation. À Vancouver, 15 % des résidences ont un compteur d’eau, obligatoire pour toutes les nouvelles résidences.

Actuellement, les Montréalais paient l’eau potable avec leurs taxes foncières (en fonction de la valeur de leur maison), peu importe leur consommation d’eau. Il n’y a pas d’incitatif financier pour combattre le gaspillage, en faisant attention à sa consommation, en améliorant l’efficacité de sa salle de bain (par exemple avec un réservoir de toilette à faible chasse) ou en éliminant les fuites d’eau à l’intérieur de sa résidence (par exemple un robinet qui coule).

Avec des compteurs d’eau et une tarification selon la consommation, on inciterait les Montréalais à éviter le gaspillage. Ça s’appelle l’écofiscalité, et ça deviendra de plus en plus nécessaire et fréquent.

Mais la première étape, c’est de s’attaquer à la plus grande source de gaspillage d’eau potable : les vieilles infrastructures de la Ville.

1. Parmi les 10 plus grandes villes du Québec, Montréal a la consommation d’eau potable la plus importante. Si on compte tous les villes et villages du Québec, Montréal (327 litres par personne par jour) se classe au 30e rang en 2021, dépassé notamment par Sainte-Thérèse (621 litres par personne par jour) et Saint-Lambert (396 litres par personne par jour).

2. Consultez l’article des Nations unies sur la rareté de l’eau (en anglais)

3. Si on gaspille 26 % de l’eau potable (le taux de fuites) et que le budget annuel de l’eau potable à Montréal est de 513 millions, on peut ainsi estimer le coût du gaspillage à environ 130 millions par an. De son côté, le journal Métro a calculé que le gaspillage d’eau potable coûtait en moyenne 406 millions par an, en se basant sur un coût officiel de 3 $ pour 1000 litres d’eau potable. Ce coût officiel, évalué par la Ville et le gouvernement du Québec, comprend à la fois les dépenses de fonctionnement (environ 80 cents pour 1000 litres d’eau potable) et les dépenses d’infrastructures de l’eau effectuées et à effectuer.

Lisez l’article de Métro « Montréal, une ville où coulent encore trop de dollars »