L’inflation, la crise du logement, les dérèglements climatiques… Les temps sont durs, mais il y a quelqu’un qui a réussi à nous faire oublier tout cela lundi dernier. Quelqu’un qui nous a rappelé à quel point l’art peut être rassembleur et porteur de sens.

Durant quelques heures, le temps a suspendu son vol au-dessus des plaines d’Abraham. Sous un ciel sans orage, une foule de 90 000 personnes était réunie, tissée serrée, pour assister au spectacle de son groupe préféré, les Cowboys Fringants, qui avait dû annuler sa prestation quelques jours plus tôt à cause des menaces de tempête.

Exceptionnellement, le Festival d’été de Québec a décidé de reporter le rendez-vous, étirant d’une journée l’évènement.

Une des meilleures décisions de l’organisation.

Quelques heures avant le début du spectacle, on sentait déjà que le moment aurait quelque chose de solennel.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Les Cowboys Fringants ont livré une prestation mémorable, tout en connexion avec les 90 000 festivaliers venus les entendre et chanter avec eux.

Les gens sur place, interviewés par les nombreux médias qui couvraient la soirée, l’ont répété à divers micros : on est là pour les Cowboys, on est là pour Karl.

Karl, c’est bien sûr Karl Tremblay, le chanteur du groupe.

C’est de notoriété publique qu’il est atteint d’un cancer et qu’il subit actuellement des traitements qui minent ses forces et obligent le groupe à annuler plusieurs spectacles.

On ne peut qu’imaginer ce qu’il a dû ressentir, ce qu’ils ont tous dû ressentir, devant cette foule compacte qui entonnait leurs grands succès avec la ferveur des grands soirs qu’on n’oubliera jamais.

C’est une relation particulière que celle d’un artiste avec son public. L’artiste crée une œuvre à partir de ses expériences et de son vécu. Puis il la lance dans l’univers, où d’autres humains la reçoivent avec leurs propres expériences et leur vécu.

Ensuite, c’est un peu de l’alchimie. L’artiste trouve son public, ou pas.

Les Cowboys Fringants ont trouvé le leur et l’ont conservé au fil des ans. Leurs chansons se sont infiltrées dans les interstices du quotidien des Québécois (et des Français chez qui ils connaissent un immense succès) jusqu’à composer la trame sonore de bien des vies : naissances, morts, mariages, séparations, voyages, remises de diplômes… Pour plusieurs, les chansons des Cowboys sont devenues des repères, des marqueurs de temps. La longévité du groupe – un quart de siècle – en témoigne.

Lundi dernier, à Québec, on avait l’impression que les fans voulaient redonner à « leur » groupe, qu’ils avaient une dette à rembourser.

On sentait la volonté des festivaliers de communiquer une immense dose d’amour et d’énergie à Karl Tremblay et à sa bande alors qu’ils traversent une si dure épreuve.

Quand la foule a accompagné le chanteur – qui a dû s’asseoir pendant la chanson Sur mon épaule –, chantant avec lui « Ensemble on n’a peur de rien… », comme un cri de ralliement, il ne devait pas y avoir beaucoup d’yeux secs sur les Plaines.

Des extraits du spectacle font le tour des réseaux sociaux depuis une semaine. Un grand moment d’émotion, même quand on le regarde sur un minuscule écran de téléphone.

Il y avait quelque chose d’héroïque dans ce grand bonhomme visiblement affaibli, les traits tirés, qui avait décidé de tout donner ce soir-là, avec une générosité dont on se souviendra longtemps.

On dit souvent qu’on est à la recherche de modèles masculins inspirants au Québec. Il y en avait un sur les Plaines ce soir-là.

Un homme qui n’a pas craint de se montrer vulnérable, nous donnant à tous une formidable leçon de courage et d’amour.

Merci Karl Tremblay. Merci les Cowboys Fringants.

Et bonne chance pour la suite.