Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche au chroniqueur et auteur Olivier Niquet.

J’aime aller voir des concerts. Et quand je dis concert, je parle d’évènements qui brassent un peu plus que l’orchestre symphonique de Boucherville ou que l’opéra de Magog. J’aime les artistes généreux de leur énergie et de leurs décibels qui incitent le public à se laisser aller. Il m’arrive moi-même parfois de me déhancher, ou au moins, de dodeliner avec entrain. C’est le plus loin que mon amour-propre me permet d’aller.

Depuis l’adolescence que j’assiste à ce genre de spectacle et je n’ai que récemment noté une certaine inadéquation entre ma personne et le reste du public. C’est-à-dire que j’ai les cheveux blancs et j’ai l’impression de détonner dans la foule qui vient voir un quatuor post-punk ou une chanteuse qui n’a pas encore 30 ans. Est-ce qu’il y a un âge maximum pour découvrir de nouveaux artistes ? Comment faire pour ne pas avoir l’air d’un vieux qui veut avoir l’air jeune, à part éviter de filmer lesdits concerts avec un iPad ?

Je pourrais me teindre les cheveux, mais comme il n’est jamais encore arrivé dans l’histoire de l’humanité qu’un homme aux cheveux teints passe pour autre chose qu’un homme aux cheveux teints, je crains que cela ne déteigne sur mon image. Je pourrais me faire tatouer un des mots fétiches que nos jeunes disent sans cesse. « Wesh », « Quoicoubeh », ou encore « Après ma game ». Mais la langue évolue si vite que je risquerais de « passer date » encore plus vite. Je pourrais aussi me déplacer en rouli-roulant, porter du cutex ou des pantalons trop larges pour avoir l’air cool, mais la supercherie serait trop évidente.

Il m’arrive de plus en plus de vivre ces instants de lucidité où je réalise que j’ai l’âge que j’ai : 44 ans. J’imagine que le phénomène s’amplifie en vieillissant. Dernièrement, j’étais dans un établissement licencié de Rouyn-Noranda, à l’ombre des cheminées, quand j’ai commencé à raconter une anecdote mettant en vedette un comédien de Watatatow. Les cinq vingtenaires assis à ma table me firent bien vite réaliser par l’entremise de leurs regards remplis de vide que nous n’étions pas de la même époque.

À cet instant, j’aurais pu facilement tomber dans le piège de ceux qui disent que les jeunes de nos jours n’ont pas de culture. Ce n’est pas qu’ils n’ont pas de culture, ils n’ont juste pas la même culture. Ils ne connaissent pas Watatatow comme moi, je ne connais pas La Ribouledingue.

J’en suis à un point où il faut parfois que je note mentalement que je n’ai plus l’âge que j’avais, mais je ne suis pas le seul.

Une étude danoise datant de 2006 a démontré que les adultes de plus de 40 ans se perçoivent environ 20 % plus jeunes qu’ils ne le sont effectivement. Ça m’amènerait à plus ou moins 35 ans d’âge mental, un âge où il est encore acceptable de fréquenter le mosh pit d’un concert de rock garage australien sans avoir l’air d’un chien dans un jeu de quilles. Ça expliquerait pourquoi tant de gens, pour être en concordance avec leur jeunesse intérieure, se font rénover le faciès.

À l’inverse, l’étude révélait également que les moins de 25 ans, eux, se sentaient en moyenne plus vieux qu’ils ne le sont réellement. Ils s’estiment sans doute plus indépendants, sages, solides que leur âge ne l’implique. C’est donc dire qu’à Rouyn, nous étions en réalité six trentenaires plutôt qu’un quarantenaire et cinq vingtenaires. Égaux dans notre âge subjectif (et notre consommation d’arsenic). Je n’avais donc été trahi que par ma référence à une émission d’ados des années 1990. Et par les cheveux blancs.

Évidemment, il y a des exceptions à cette règle. Les réseaux sociaux font émerger une quantité impressionnante de personnes qui ont l’âge mental d’un enfant de 5 ans, mais dont l’avatar laisse croire qu’ils sont une femme, un homme ou un chaton d’âge mûr. À l’inverse, certains tiennent tellement à leurs idées issues du XIXsiècle qu’ils semblent avoir 154 ans dans leur tête. Il y en a même de ceux-là dont le travail dans les médias est de se plaindre des idéaux des jeunes de nos jours.

L’âge ressenti n’est donc pas toujours le reflet de ce dont on a l’air. En se voyant plus jeune que l’on est, on veut sans doute se faire croire que l’on est encore pertinent et utile. Je connais des jeunes vieux qui ont décidé de ne pas embarquer dans le train de l’internet en se disant que la mode allait passer. À l’inverse, ma grand-mère de 101 ans était encore sur Facebook il n’y a pas si longtemps.

Il n’y a pas de mal à préférer rester dans le passé si on ne rejette pas tout du présent. Il n’y a pas de mal à préférer le présent si on s’intéresse aussi au passé.

Il appert que plusieurs ont décidé à partir d’un certain moment qu’ils allaient rester dans le confort de la musique qu’ils écoutaient à 20 ans. Tant mieux pour Madonna et les Rolling Stones qui continuent de surfer là-dessus. J’aime découvrir des bands originaux, des artistes de la relève, des styles nouveaux, quitte à avoir l’air d’un vieux qui se prend pour un jeune.

Il est facile de figer nos préférences dans un passé qui nous semble meilleur, mais il y a des murs entre les générations qui ne devraient pas exister. C’est pourquoi j’essaie au moins de passer le mur du son.