(Québec) La soirée de lundi au Festival d’été de Québec passera à l’histoire. En ajoutant une journée de plus pour permettre aux Cowboys Fringants de reprendre le spectacle annulé jeudi en raison du mauvais temps, l’organisation du FEQ a permis aux festivaliers de voir un spectacle incomparable, doté d’une charge émotive qu’il nous avait été rarement donné de vivre.

On l’a senti dès le départ, quand Karl Tremblay a laissé passer quelques mesures avant de commencer à chanter Ici-bas. Le chanteur, qui combat un cancer de la prostate, a été manifestement touché au plus profond de son être par la vague d’amour qui a déferlé sur lui à son entrée devant les quelque 90 000 spectateurs.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Nombreux sont les festivaliers à avoir couru dès l’ouverture des portes afin d’être le plus près possible de la scène.

L’émotion a rapidement laissé place à la fête quand Jérôme Dupras a prêté sa basse à son collègue Jean-François Pauzé le temps de haranguer la foule en introduction de La reine. Après avoir passé derrière les percussions, le bassiste a même fait mine de jouer le riff de Thunderstruck, d’AC/DC – c’est le guitariste de tournée du groupe qui jouait les notes composées par Angus Young. Les maisons toutes pareilles, du plus récent album Les antipodes, a justement permis de mettre en valeur les arrangements riches livrés par les 10 musiciens sur scène – une section de cuivres, deux guitaristes et un batteur appuyaient les Cowboys sur les Plaines.

PHOTO CAROLINE GRÉGOIRE, LE SOLEIL

Le bassiste Jérôme Dupras

Pendant que Jérôme Dupras prenait un bain de foule pour aller chanter Ti-Cul avec le public, on a toutefois senti que Karl Tremblay n’avait pas la même assurance derrière le micro. Le chanteur s’est assis à la fin de la chanson, les écrans géants se sont éteints, et Jean-François Pauzé s’est approché du micro pour annoncer que le chanteur allait prendre une pause. Mais il a été interrompu par le principal intéressé. « On va prendre le break plus tard, a dit Karl Tremblay. Amène-moi donc la chaise, ça se chante bien assis, cette chanson-là ! » Cette chanson était Sur mon épaule, interprétée avec une rare émotion, plus qu’il ne nous a jamais été donné d’entendre en spectacle. Près de nous, dans la foule, bien des gens n’arrivaient pas à retenir leurs larmes, même chose pour les collègues journalistes qui cachaient mal leur réaction, surtout quand Karl Tremblay a appuyé avec ferveur l’un des passages clés de la chanson : « On n’a peur de RIEN ! »

Il a repris son aplomb sur Plus rien, pour mieux déclarer son amour pour le Festival d’été de Québec.

C’est le plus beau festival au monde, et je dis pas ça pour être téteux, on a joué partout dans la Francophonie. Une soirée comme ça, ça n’a pas de prix, c’est extraordinaire !

Le chanteur Karl Tremblay, s’adressant à la foule

Le spectacle s’est terminé avec Tant qu’on a de l’amour, bonifiée par une chorale composée spontanément par Jérôme Dupras, qui venait de prendre un second bain de foule sur une Awikatchikaën particulièrement enlevante – le bassiste-animateur de foule et accessoirement docteur en géographie en avait aussi profité pour faire un solo de batterie juste avant !

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Le public a livré une vague d’amour au chanteur Karl Tremblay.

Les Cowboys Fringants ont conclu cette soirée exceptionnelle avec Les étoiles filantes, magnifiée par une constellation de lumières de téléphones cellulaires s’étendant jusqu’au sommet de la colline, bien loin de la scène, avant de terminer avec une surprise, Un p’tit tour, chanson que le groupe n’avait jouée qu’une seule fois cette année, au Centre Bell en janvier.

Superfrancofête 2023

Appelée sur scène pour chanter Marine marchande au début du premier rappel des Cowboys Fringants, c’est Sara Dufour qui avait la tâche de chauffer la foule en lever de rideau, un mandat réussi avec brio grâce à son country-rock presque punk qui tourne aussi vite qu’un moteur deux-temps. Elle s’est même permis d’intégrer quelques mesures de Killing in the Name de Rage Against the Machine dans sa chanson Chic-Chocs, une formule à haut indice d’octane taillée sur mesure pour une scène – et une foule – de cette ampleur.

Celle qui a joué dans Watatatow a lancé un appel franchement senti en rappelant qu’elle était ici sur les Plaines pour assister au spectacle des Cowboys Fringants, il y a 20 ans : « Ma mère m’a dit que quand elle pensait à ma carrière, elle voyait ça comme une vague qui s’en venait », a confié la jeune autrice-compositrice-interprète.

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C’est Sara Dufour qui a assuré la première partie, lundi.

Là, je me sens au top de la vague, c’est mon plus gros spectacle à vie, et je suis fière de partager ça avec vous autres.

Sara Dufour

Celui qui a suivi sur la grande scène en a bien sûr vu d’autres, mais Robert Charlebois avait l’air franchement ravi d’être là. « On a manqué notre coup jeudi, mais on ne le manquera pas à soir, c’est promis, a-t-il dit après avoir lancé le spectacle avec Le manque de confiance en soi. On va réchauffer ça pour les Cowboys ! »

Énergique et en voix comme jamais, le légendaire chanteur de 79 ans, tout de blanc vêtu, a livré la même version condensée de son spectacle Robert en CharleboisScope qu’il a présentée plus tôt cet été aux Francos – Louise Forestier était ici aussi sur place et son plaisir était tout simplement contagieux. Toutefois, les chansons choisies par Charlebois étaient particulièrement à propos à Québec, car trois d’entre elles avaient été présentées ici en primeur en août 1974 dans le cadre du mémorable spectacle J’ai vu le loup, le renard, le lion avec Félix Leclerc et Gilles Vigneault – c’est ce qui avait lancé la Superfrancofête, premier festival organisé sur les plaines d’Abraham.

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Robert Charlebois est monté sur scène juste avant les Cowboys Fringants, animé par sa fougue habituelle.

La très rock’n’roll Entr’deux joints nous a permis de voir un Charlebois inspiré jouant du bottleneck sur son pied de micro pendant que Mon pays s’est démarquée tellement elle n’a pas pris une ride malgré ses quelque 50 ans. Quant à Lindbergh, c’est sans surprise celle qui a le plus résonné auprès du public, dont l’immense majorité n’était pas au monde quand la monumentale pièce a été chantée ici pour la première fois.

C’est toutefois dans Dolorès que Charlebois a pour la première fois fait référence au spectacle de 1974 avec Leclerc et Vigneault, dans son inimitable nomenclature des autos qu’il a possédées. Il s’est permis d’en inventer une nouvelle, inspirée de l’Amphicar, cette voiture amphibie des années 1960 : « Pourquoi pas une Legault 500 ou une Fitzgibbon 3000 électrique ? Avec des autos amphibies pour traverser le fleuve, on n’aurait pas besoin de troisième lien ? OK, c’est bon, on n’ira pas là ! », a-t-il lancé en rigolant.

Bon joueur, Charlebois a cédé sa place aux Cowboys Fringants après une seule chanson en rappel ; Te v’là a été accueillie poliment, même si la foule ne l’avait pas vraiment réclamée. Parce que tout le monde sur les Plaines n’en avait que pour Karl Tremblay et sa bande, qui ont à leur tour créé l’évènement.

Note : Contrairement à la version originale du texte, la chanson mentionnée au quatrième paragraphe n’était pas La traversée, mais bien Sur mon épaule. Toutes nos excuses.