Sur Pub Royal, lancé en surprise mercredi à minuit, Karl Tremblay fait ses adieux à ses amis. Voici nos premières impressions, à chaud et à chaudes larmes, de l’ultime album des Cowboys Fringants.

C’est à la troisième pièce que ça se passe. Premier coup de poing au plexus solaire. C’est d’abord la voix de Marie-Annick Lépine que nous entendons, elle qui incarne Loulou Lapierre, cette barmaid et p’tite mère ben ordinaire sur qui, dans les chansons des Cowboys Fringants, s’abattent toujours tous les joyeux calvaires. Loulou Lapierre qui, ici, n’en peut tout simplement plus.

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« Assure-moi alors que je ne vais plus souffrir », implore-t-elle Siriso, le patron du bar qui donne son titre à l’album (et à la comédie musicale du même nom). « Connais-tu ça, la fatalité ? », lui répond-il par la voix de Karl Tremblay, un homme qui aura connu comme peu d’autres gens ce que signifie pour vrai ce mot.

Et ça continue. Ça continue de vous tordre le cœur : « Fais-moi croire au moins que je peux m’en sortir », le supplie Loulou/Marie-Annick. Et Siriso/Karl de lui rappeler que « l’espoir seul ne peut rien arranger ». Ouf.

Puis le refrain éclate et comme dans tant de grandes chansons des Cowboys Fringants, vous vous surprendrez à entonner tout sourire les formules les moins joviales. « Allez, faut sortir du déni, certains gens ne sont pas faits pour la vie », scande Karl Tremblay, qui lui, jusqu’à son diagnostic de cancer en janvier 2020, semblait bien parti pour la savourer jusqu’à la lie.

Quatre chansons inédites

Au programme de cet ultime album, annoncé mercredi soir sur les réseaux sociaux quelques heures avant sa parution à minuit : treize pièces, dont quatre interludes, ainsi que les cinq chansons nouvelles révélées en novembre 2023 dans la comédie musicale Pub Royal, dont ce disque n’est cependant pas du tout la stricte trame sonore.

Parmi celles-ci : La fin du show, une équipée de 7 minutes et 16 secondes, quelque part entre le Big Bazar de Michel Fugain et Hotel California des Eagles, dans laquelle le personnage de Johnny Flash, un vieux rocker qui ne s’est pas ménagé, se vante d’avoir eu une « vie ben plus cool qu’la vôtre », même si son « corps usé à la corde demande sa miséricorde ».

Extrait de La fin du show des Cowboys Fringants
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Mais la différence, ici, c’est que ce n’est pas le comédien Martin Giroux qui entonne ces vers, comme dans le spectacle, mais notre ami Karl qui, au moment d’enregistrer sa piste de voix, savait peut-être déjà qu’il avait lui-même donné son dernier show : « Ferme le follow pis les lumières, non je n’ai plus besoin qu’on m’éclaire, je sors par la porte d’en arrière, pour que m’avale l’univers ».

Parmi les quatre véritables inédites, jamais entendues nulle part : Y’est trois heures on ferme !, une chanson à boire dans la plus pure tradition du plus célèbre groupe de Repentigny, et Vie et mort de Gina Pinard, un hommage à cette effeuilleuse qui en a bien fait, du chemin, depuis sa première apparition dans La culbute en 1998.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Annick Lépine, le 28 novembre dernier, lors de la cérémonie d’hommage national à la mémoire de son amoureux, Karl Tremblay

Mais la chanson la plus bouleversante de Pub Royal appartient non pas au principal auteur-compositeur des Cowboys Fringants, Jean-François Pauzé, mais à sa multiinstrumentiste, Marie-Annick Lépine, qui s’adresse directement à ses deux filles.

« Vous allez voir mes puces que la vie est souvent injuste, souvent injuste, surtout pour ceux qui partent avant d’avoir les cheveux blancs », leur dit-elle sur fond de country qui fend le cœur dans Les cheveux blancs, tout en les invitant, une fois qu’elles auront son âge, à chérir les rides qui apparaîtront sur leur visage. « Car une fois que le futur ne te donne plus d’espérance, tu apprends à la dure que vieillir est une chance ».

Qu’elle soit parvenue à écrire et composer une telle chanson de pure sagesse, moins de cinq mois après la mort de l’homme de sa vie, est à la fois inconcevable et révélateur de la bouée qu’a toujours été la musique pour le clan des Cowboys.

Le mot de la fin

C’est cependant à Karl Tremblay que reviendra, comme il se doit, le mot de la fin dans Merci ben !, un duo réunissant Jean-François Pauzé et Marie-Annick Lépine, cataloguant toutes les expériences, glorieuses ou calamiteuses, que leur improbable carrière leur aura permis de vivre. Complétée après le départ de leur camarade, cette chanson testament s’amorce et se conclut néanmoins au son de la voix de Tremblay, en spectacle, saluant la beauté de l’humanité.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Karl Tremblay, lors du concert des Cowboys Fringants au festival des montgolfières de Saint-Jean-sur-Richelieu, le 18 août 2023

Rares sont les artistes ayant la chance de choisir les mots et les images qu’ils emploieront avant de tirer leur révérence, comme ce fut le cas de David Bowie avec Blackstar (2016), de Leonard Cohen avec You Want It Darker (2016) ou de Warren Zevon avec The Wind (2003). Mais c’est bel et bien ce qu’est Pub Royal : un lumineux au revoir, conçu avec la conscience qu’il s’agirait d’un au revoir, empreint de cette gratitude qui aura permis aux Cowboys Fringants, depuis leurs débuts, de gagner tant de Québécois à la cause de la nécessaire folie.

« Pour cette bizarre épopée assise sur des amitiés, qui résisteront à la vie, et j’espère à la mort aussi, merci ben », lance Jean-François Pauzé, et permettez-nous de croire que ce n’est pas un hasard si le dernier album des Cowboys Fringants se termine sur une chanson de route. C’est sans doute pour dire que cette route se poursuit dans notre cœur et dans le vôtre, dans celui des « millions d’êtres humains » dont Karl Tremblay a croisé le chemin.

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