Dans les dernières semaines, la rivalité – ou beef – entre Kendrick Lamar et Drake, qui a commencé il y a quelques années, s’est intensifiée. L’intérêt du public ne faiblit pas : euphoria, lancée mardi par Kendrick Lamar, a enregistré plus de 9 millions d’écoutes sur Spotify dans les 24 heures suivant sa sortie.

De collaborateurs à ennemis

PHOTO JEENAH MOON, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Le rappeur Drake

De temps à autre, l’aspect compétitif du rap refait surface. Les joutes verbales, à l’origine du genre, peuvent propulser des artistes et en ruiner d’autres – Ja Rule, Canibus. Dans ce « sport », la meilleure façon de prouver sa supériorité est de dévaloriser son adversaire. Pas la plus belle leçon de vie, on en convient. L’ingéniosité avec laquelle certains rappeurs expriment leur hargne peut toutefois être impressionnante. Le morceau euphoria recèle plusieurs perles.

Avant d’y plonger, revenons en 2011, alors que Drake, de son vrai nom Aubrey Graham, est sur le point de devenir une superstar et que la carrière de Kendrick Lamar prend son envol. Généreux, le Torontois invite ce dernier à faire la démonstration de son talent sur Buried Alive Interlude, septième titre de son album Take Care. De plus, Drake, qui n’apparaît même pas sur le morceau, choisit K. Dot – et A$AP Rocky – pour l’accompagner en tournée. L’année suivante, il fournit un couplet à Poetic Justice sur good kid, m.A.A.d. city, disque qui a révélé Kendrick. Ce fut leur dernière collaboration.

Première offense

En peu de temps, Kendrick Lamar est reconnu comme l’un des meilleurs de sa profession. Il ne se gêne pas pour le laisser savoir en déclarant sur la pièce Control, de Big Sean, qu’il essaie de « tuer » la compétition, en mentionnant entre autres J. Cole, Meek Mill, Pusha T, Mac Miller, Tyler, The Creator et Drake. Certains d’entre eux ripostent, mais pas ce dernier. Quelques années passées et un peu plus d’huile sur le feu de la part de Kendrick – les chansons King Kunta et Deep Water, notamment – motivent finalement le Canadien à réagir sur 100, de The Game. Il insinue que les fans de Kendrick seraient les siens s’il n’était pas devenu un artiste pop.

Extrait de Control, de Big Sean (avec Kendrick Lamar)
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La question du top 3

En octobre dernier, J. Cole parvient enfin à se hisser au sommet du palmarès grâce à First Person Shooter, sa contribution à l’album For All the Dogs, de Drake. Sur celle-ci, il affirme que lui-même, Drizzy et Kendrick constituent le « big three » du hip-hop. Certains auraient été flattés, mais pas ce dernier. Le 22 mars, sur Like That, tiré du premier volet We Don’t Trust You de Future et Metro Boomin, le MC de Compton assure qu’il est dans une autre ligue puis décoche plusieurs flèches en direction des deux amis. Le morceau, qui compte aujourd’hui plus de 200 millions d’écoutes sur Spotify, met le feu aux poudres.

Extrait de Like That, de Future et Metro Boomin (avec Kendrick Lamar)
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Des tirs de toutes parts… mêmes de l’IA

PHOTO VALÉRIE MACON, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La rappeur J. Cole

J. Cole riposte le premier, le 5 avril, avec 7 Minute Drill, depuis retiré de son album titré judicieusement Might Delete Later – il nous avait avertis. Quelques jours après la sortie, au festival Dreamville, il s’excuse puis avoue avoir succombé à la pression de ses pairs d’enregistrer une réplique.

Extrait de 7 Minute Drill, de J. Cole
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La semaine suivante, A$AP Rocky et The Weeknd envoient quelques pointes à l’intention de Drake sur We Still Don’t Trust You, deuxième offrande de Future et Metro Boomin. Le 13 avril, se comparant au personnage d’Uma Thurman dans Kill Bill – car il se bat seul contre plusieurs –, Drake lance Push Ups, qui vise tous ceux qui l’ont affronté ainsi que son fréquent collaborateur Rick Ross. Celui-ci, qui sera au festival Mural le 15 juin, s’empresse de répondre avec Champagne Moments, sur lequel il accuse Drake de ne pas écrire ses textes et d’avoir eu recours à la chirurgie esthétique.

On croit pendant un instant que Kendrick retourne dans l’arène avec 1 Shot 1 Kill, mais il s’agit d’une création avec l’aide de l’intelligence artificielle (IA) rapidement revendiquée par Sy The Rapper. L’IA est aussi utilisée pour imiter la voix et le style de Drake sur la trompeuse Hi Whitney. Aubrey Graham recourt délibérément à l’IA sur son attaque suivante, Taylor Made. Dans le but d’humilier Lamar, il reproduit la voix de ses idoles Snoop Dogg et 2Pac. La famille de ce dernier, mort en 1996, menace de le poursuivre et les fausses contributions sont supprimées.

Le 21 avril, Kanye West saute dans la mêlée avec un remix de Like That, qui relance les vieilles hostilités avec Drake.

Matraquage de six minutes

Bien que certains estiment qu’il a mis trop de temps à rétorquer, euphoria est pour l’instant la proposition la plus éloquente générée dans cette chicane entre vedettes du hip-hop. Sur trois beats qui s’enchaînent, Kendrick Lamar déploie un vaste arsenal de flows pour tailler en pièces Drake et Aubrey Graham, autant l’artiste que l’homme. Il remet en question son authenticité en évoquant son recours à des auteurs pour ses textes (ghostwritters). Le Californien se moque de la façon dont le Canadien s’inspire de différentes cultures pour forger son identité artistique. Il s’en prend aussi à ses qualités de parent et d’ami. « Yeah, Cole and Aubrey know I’m a selfish n***a/The crown is heavy, huh/I pray they my real friends, if not, I’m YNW Melly. »

Extrait d’euphoria, de Kendrick Lamar
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En 2019, YNW Melly a été accusé du meurtre de deux rappeurs avec qui il était auparavant associé. Kendrick évoque qu’il pourrait faire de même – en chanson. Depuis mardi, les textes, vidéos et balados disséquant les paroles d’euphoria se multiplient. Les explications de Dissect Podcast sont parmi les plus pertinentes.

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Ce n’est pas fini

Vendredi matin, Kendrick Lamar a publié 6:16 in LA sur son compte Instagram. Le morceau fait référence à la série de chansons de Drake utilisant la même formule : heure et ville. Le rappeur lauréat d’un prix Pulitzer fait aussi honneur à sa promesse formulée sur euphoria où il assurait offrir des jabs consécutifs. « Back to Back, I like that record I’ma get back to that, for the record. »

Extrait de 6:16 in LA, de Kendrick Lamar
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Back to Back est l’un des titres corrosifs envoyés par Drake à Meek Mill lors de leur conflit de 2015.

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Vers 23 h, vendredi soir, Drake a rétorqué avec Family Matters, sur laquelle il s’en prend à la famille et aux proches de Kendrick. Moins d’une heure plus tard, celui-ci a riposté avec meet the grahams. Lorsque vous lirez ces lignes, l’internet aura certainement analysé chaque mot des deux nouvelles attaques et attendra impatiemment la suite.

Visionnez le vidéoclip de Family Matters Écoutez meet the grahams, de Kendrick Lamar