Jeudi matin, au réveil, la première chose que Louis Bellavance a faite, c’est d’écouter le nouvel album des Cowboys Fringants, Pub Royal. En entier, cette fois (il en avait écouté des passages avant de se mettre au lit).

« On ne peut pas écouter cet album-là avec le même filtre que quand on écoute le nouvel album d’un artiste important, en se demandant si les arrangements sont intéressants et tout », souligne M. Bellavance, directeur de la programmation du Festival d’été de Québec, où les Cowboys Fringants ont offert un spectacle d’anthologie l’été dernier. « Il y a une portée, une signification qui dépasse cela », dit-il.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Louis Bellavance, directeur de la programmation du Festival d’été de Québec

Sorti cinq mois après la mort du chanteur Karl Tremblay, Pub Royal est l’album posthume des Cowboys Fringants, mais aussi un album qu’on pourrait qualifier de testamentaire. Il contient cinq chansons de la comédie musicale Pub Royal et huit autres créées pour l’album.

Karl Tremblay a eu le temps d’en interpréter six avant sa mort, dont La fin du show, la chanson phare de la comédie musicale. Cette pièce de sept minutes est probablement « la plus forte » de l’album, selon Louis Bellavance. Le thème de la mort est bien présent dans cette chanson, et dans tout l’album, d’ailleurs.

Extrait de La fin du show, des Cowboys Fringants

« Ça amène une portée vraiment particulière, mais c’est aussi musicalement un album typique des Cowboys, un retour aux sources avec son côté joyeux, festif, lumineux », souligne Louis Bellavance. Il salue d’ailleurs le courage des membres du groupe, qui expriment leur vulnérabilité.

C’est un album réussi, et je pense qu’il est important et qu’il va faire sa place musicalement dans le répertoire du groupe.

Louis Bellavance

Selon lui, des chansons de l’album se seraient frayé un chemin sur scène, comme La fin du show, Merci ben ! et Loulous vs Loulou, sur laquelle Karl Tremblay et Marie-Annick Lépine chantent en duo.

« Le temps dira la place que l’album prendra, mais présentement, il est extrêmement important, il est très beau et il est très fort », résume Louis Bellavance.

Savoir partir

Professeur de musicologie et directeur du département de musique de l’UQAM, Danick Trottier voit dans cet album posthume deux « moments » : les dix premières chansons sont à ses yeux une synthèse du style musical des Cowboys Fringants, tandis que les trois dernières (Les cheveux blancs, Merci ben ! et Les bonnes continuations) sont l’expression du deuil, de la mémoire.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Danick Trottier, professeur de musicologie à l’UQAM

Danick Trottier a particulièrement été ému par Les bonnes continuations, une pièce instrumentale écrite par Jean-François Pauzé. « C’est une valse mélancolique, sous forme d’adieu, que j’ai trouvée très belle », dit le professeur, qui souligne que, dans la musique occidentale, la valse est souvent associée au départ.

Il y a quelque chose, aussi, dans le grain de voix de Karl Tremblay, une émotion, observe le professeur. Le chanteur savait que ce serait son dernier enregistrement – et les membres du groupe aussi. « Dans l’album, il y a un sens de la clôture, un sens de la fermeture au terme d’une longue trajectoire, résume Danick Trottier. Je ne veux pas mettre le clou dans le cercueil du groupe, mais c’est certain que, sans la voix de Karl Tremblay, si ça se poursuit, ça va être une autre aventure. »

À l’image de Freddie et de Gerry

PHOTO ARMAND TROTTIER, ARCHIVES LA PRESSE

Gerry Boulet, du groupe Offenbach, en 1989

Les albums posthumes ne sont pas nécessairement testamentaires, souligne Danick Trottier : Jimi Hendrix, Kurt Cobain et Ian Curtis ont laissé des chansons à leur mort, mais sans nécessairement les avoir écrites en se sachant condamnés. En musique classique, de nombreux compositeurs ont écrit sous l’impulsion de la vie qui s’achève, ajoute le professeur de musicologie, qui cite Mozart, Schubert et Gustav Mahler. Les œuvres testamentaires ne sont pas nécessairement posthumes non plus. « En musique populaire, le grand modèle, pour moi, c’est Freddie Mercury », dit-il. The Show Must Go On, enregistrée par Queen en 1990, a pris une signification puissante à la mort du chanteur, l’année suivante. « C’est un peu ce qu’on retrouve avec Les bonnes continuations et Merci ben ! : la vie continue, et la musique reste », dit M. Trottier. Au Québec, on peut penser à l’album Rendez-vous doux, dont Gerry Boulet a interprété les chansons alors qu’il se savait atteint d’un cancer.

Une illustration qui évoque la mort

IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON DE DISQUES

Pochette de Pub Royal

La pochette du disque Pub Royal – signée par l’illustrateur Pat Hamou – a aussi marqué le professeur Danick Trottier. Il y voit plusieurs éléments évoquant la mort : le corbeau, d’abord, qui symbolise la mort dans la culture occidentale, mais aussi le voyage de l’esprit vers l’au-delà. L’illustration montre aussi l’hiver, le crépuscule, l’opposition entre l’ombre et la lumière… Selon Danick Trottier, les arbres et la ligne d’horizon rappellent même la forme d’une croix. Les amateurs se sont aussi amusés à analyser l’illustration, dont Max Valois, de La Prairie. « L’homme qui avance vers la lumière, c’est Karl, qui avance vers la mort », dit-il.