Dans la vie comme en politique, il y a ceux qui assument leurs décisions, et ceux qui se trouvent toutes sortes d’excuses pour ne pas prendre leurs responsabilités.

Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, ne fait pas seulement partie de la deuxième catégorie. Il essaie d’établir un nouveau record en matière d’impunité en politique.

Quel est le problème ? Le gouvernement Ford a dézoné des milliers d’hectares de terres protégées de la « ceinture verte » (Greenbelt) autour de Toronto. Plusieurs des terrains dézonés ont été suggérés par les promoteurs eux-mêmes, dont certains sont des donateurs du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario et des amis de la famille Ford. Le processus de sélection des terrains à dézoner était « biaisé en faveur de certains promoteurs et propriétaires qui avaient un accès au moment opportun [timely access] au chef de cabinet du ministre du Logement », a dit la vérificatrice générale de l’Ontario⁠1.

Tout ça va être très, très payant pour ces promoteurs : la valeur des terrains dézonés devrait augmenter de 8,3 milliards, a calculé la VG. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) évalue actuellement si elle doit ouvrir une enquête criminelle dans cette affaire.

Que répond Doug Ford ? Que sa décision était justifiée par la crise du logement, qu’il ne savait rien du processus « biaisé », car il ne « microgère » pas son gouvernement2, 3.

Il faut être particulièrement naïf pour croire ces explications qui remettent en cause le principe même de responsabilité gouvernementale et ministérielle.

Le premier ministre ontarien tente de faire une opération de diversion qui devrait nous inquiéter partout au pays, pas seulement en Ontario.

Un premier ministre est responsable des actions de son gouvernement, un ministre, de ses décisions. C’est le principe de la responsabilité ministérielle, primordiale dans notre État de droit.

Bien sûr, un ministre ne démissionne pas à chaque mauvaise décision. Mais il doit prendre ses responsabilités, assumer les conséquences de ses décisions. Quand c’est trop grave, il démissionne. Ici, c’est très, très grave. Assez pour que la GRC s’en mêle.

Doug Ford se dit persuadé qu’aucun acte criminel n’a été commis dans ce dossier4. On espère pour lui qu’il a raison. Mais les Ontariens méritent un gouvernement dont le standard de bonne gouvernance est plus élevé que l’impression de respecter le Code criminel.

PHOTO COLE BURSTON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre des Affaires municipales et du Logement de l’Ontario, Steve Clark, et le premier ministre Doug Ford

Dans cette affaire, Doug Ford et son ministre du Logement, Steve Clark, se lavent les mains. Ils rejettent la faute sur le chef de cabinet du ministre, Ryan Amato, qui a démissionné. C’est M. Amato qui a suggéré aux fonctionnaires 14 des 15 sites qui ont été dézonés.

Ce qu’ils affirment, c’est que le chef de cabinet a tout orchestré seul sans en informer son ministre. Le premier ministre ne s’intéressait pas particulièrement au dossier lui non plus.

De deux choses l’une. Ou bien le ministre faisait de l’aveuglement volontaire en se fichant de son dossier le plus important. Dans ce cas, il est incompétent et ne mérite pas d’exercer ses fonctions. Ou bien le ministre savait que le processus était « biaisé » à l’égard des promoteurs et propriétaires proches du gouvernement Ford. Dans ce cas, l’Ontario a l’air d’une république bananière, pas de la plus importante province d’un pays du G7.

Un ministre est responsable des actions et décisions de son chef de cabinet, surtout dans son dossier le plus important. C’est lui, le patron, pas le contraire.

Dans une démocratie en parfaite santé, le ministre Steve Clark aurait démissionné après un rapport aussi dévastateur de la vérificatrice générale de l’Ontario. Il s’accroche à son poste, avec la bénédiction de Doug Ford. S’il est toujours en poste, c’est entre autres parce que sa démission signifierait que Doug Ford – qui a dézoné la ceinture verte dans la précipitation – est aussi en eaux troubles.

PHOTO ARLYN MCADOREY, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La vérificatrice générale de l’Ontario, Bonnie Lysyk, présentant son rapport aux médias le 9 août dernier

Sur le fond, le gouvernement Ford a pris la mauvaise décision en dézonant une partie de la ceinture verte. Avant les élections de 2018, Doug Ford avait promis de ne pas le faire.

Et le rapport de la VG est limpide : on n’avait pas besoin de dézoner la ceinture verte pour construire des logements, il y avait d’autres terrains disponibles. Utiliser la crise du logement pour justifier une telle décision est d’un cynisme désolant.

Sur la forme, même s’il prenait la mauvaise décision, le gouvernement Ford aurait pu choisir les terrains à dézoner dans le cadre d’un processus impartial d’appel d’offres mené par des fonctionnaires. Le rapport de la VG démontre que les dés étaient pipés en faveur de certains promoteurs et que c’est le personnel politique qui a fait ces choix.

Comble du cynisme politique, le gouvernement Ford s’en lave les mains, espérant que la poussière retombera sur le scandale avant les prochaines élections, qui n’auront lieu qu’en juin 2026. Cette attitude devrait tous nous inquiéter pour la santé de notre régime démocratique, qui ne se résume pas à un scrutin tous les quatre ans.

La démocratie, c’est aussi un gouvernement qui prend ses responsabilités.

1. Lisez un article de CBC (en anglais) 2. Lisez un article de CBC (en anglais) 3. Lisez un article du National Post (en anglais) 4. Lisez un article du Globe and Mail (en anglais) Lisez un communiqué de la vérificatrice générale de l’Ontario Lisez le rapport de la vérificatrice générale de l’Ontario