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Pourquoi investir dans la filière des batteries à base de lithium alors que des avancées intéressantes sont en cours concernant les batteries semi-solides à base de calcium ? Ne serait-il pas avisé que la CAQ revoie sa stratégie d’investissement afin d’éviter de miser sur une technologie de batteries au lithium dont l’avenir semble incertain ?

Réal Bilodeau

Les gouvernements du Québec et du Canada sont en train d’accorder des dizaines de milliards de dollars en subventions pour développer la filière batterie, notamment dans le parc industriel de Bécancour, au Québec.

Ils misent en effet sur les batteries lithium-ion. Et il est vrai que de nouvelles technologies émergent, notamment du côté d’éventuelles batteries à base de calcium. Sommes-nous en train de miser tous nos jetons sur l’équivalent du format de vidéocassettes Beta, au risque de voir le VHS nous doubler dans le détour ? (Les plus jeunes qui ne comprennent pas l’analogie pourront demander à leurs parents.)

Après avoir creusé la question, cela nous semble improbable.

« La recherche et la commercialisation sont deux choses différentes », résume Gregory Patience, professeur au département de génie chimique à Polytechnique Montréal.

L’expert souligne une chose fondamentale : « Aujourd’hui, le lithium, ça fonctionne. » On sait d’ailleurs à quel point l’industrie peine à répondre à la demande pour les voitures électriques. Les salles d’exposition des concessionnaires sont vides et il faut attendre des mois, voire plus, pour mettre la main sur un tel véhicule.

La demande pour les batteries lithium-ion est donc grande et risque de l’être encore pour de nombreuses années.

Les autres technologies comme le calcium, de leur côté, sont en développement.

Développer, ça prend des années. Et on ne parle pas de deux ou trois ans. On parle de décennies.

Gregory Patience, professeur au département de génie chimique à Polytechnique Montréal

Il est vrai que le calcium est beaucoup plus abondant sur Terre que le lithium. En théorie, il peut aussi renfermer une plus grande densité d’énergie. Le professeur Gregory Patience explique toutefois que le défi reste d’utiliser cette énergie. Il faut notamment trouver les bons matériaux pour construire l’anode, soit le pôle négatif de la batterie, ainsi qu’un électrolyte dans lequel la charge électrique pourra voyager.

« On étudie actuellement des électrolytes à base de fluor, mais le fluor est très toxique. Il y a des études qui se font, mais ce n’est pas établi », dit-il.

L’expert invite aussi à regarder les immenses infrastructures qui se développent partout sur Terre pour soutenir l’industrie des batteries lithium-ion. Cela va des mines à l’assemblage des batteries en passant par les usines qui produisent l’hydroxyde de lithium pour la cathode et celles qui raffinent le graphite pour l’anode.

Les investissements sont colossaux et les risques que tout cela s’écroule à court terme semblent faibles.

Il faut aussi souligner que si les subventions sont importantes dans l’implantation de la filière batterie au Québec et en Ontario, les entreprises privées misent gros, elles aussi.

La future usine de fabrication de cathodes de Bécancour, par exemple, est une coentreprise entre le géant des matériaux coréen POSCO et le constructeur automobile GM. Ce dernier sera le client final des batteries, et on peut penser que GM connaît assez bien le marché de l’automobile.

Cela étant dit, prédire l’avenir n’est pas une science exacte et on n’est jamais à l’abri d’une surprise. Le New York Times a récemment rapporté que la Chine mise gros sur des batteries dans lesquelles le sodium remplacerait le lithium1.

Il est aussi possible que des batteries basées sur des technologies différentes fassent leur apparition sur le marché pour certaines applications, sans pour autant déloger les batteries lithium-ion.

Les nouveaux développements de recherche sont donc à suivre avec intérêt, mais la batterie lithium-ion n’a pas dit son dernier mot et semble avoir encore de beaux jours devant elle.

1. Lisez l’article du New York Times (en anglais)