De la légitimité de Vladimir Poutine à la guerre en Ukraine, les derniers évènements survenus en Russie auront de nombreux impacts, estiment des experts. Tour d’horizon.

… Vladimir Poutine ?

Une humiliation, d’abord. Depuis qu’il est devenu président, c’est la première fois que son pouvoir est « menacé à ce point », estime Dominique Arel, titulaire de la Chaire d’études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa. Les troupes de Wagner se sont approchées à moins de 400 km de Moscou, sans la moindre résistance. Pourtant, la Russie dispose de la deuxième armée du monde, derrière celle des États-Unis, souligne-t-il. « Ça va forcément ébranler la légitimité de Vladimir Poutine », soutient le spécialiste.

Son régime est par ailleurs déjà affaibli par une guerre qui s’enlise depuis plus d’un an, rappelle Guillaume Sauvé, spécialiste de la politique intérieure et étrangère de la Russie. Or, « Evguéni Prigojine [le chef du groupe Wagner] a un discours qui plaît beaucoup, mais seulement à une petite frange de la population russe », observe le chercheur de l’Université de Montréal.

PHOTO GENYA SAVILOV, AGENCE FRANCE-PRESSE

Tir de roquette en direction des positions russes près de Bakhmout, le 20 juin

… la guerre en Ukraine ?

Vladimir Poutine soutiendra que les derniers évènements ne changent rien au déroulement de l’invasion russe en Ukraine, mais c’est impossible, croit M. Arel. Aux yeux des troupes, c’est leur propre allié qui les attaque. « C’est un coup qui vient de l’intérieur. Ça déstabilise. Est-ce que ce sera à court terme, à moyen terme ? Ça déstabilisera le commandement, le moral des troupes », énumère le professeur.

D’autant que les forces russes se heurtent actuellement à la contre-offensive ukrainienne. Samedi, Kyiv a revendiqué des « avancées dans toutes les directions » sur le front est, où elle affirme avoir lancé de nouvelles offensives.

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Combattants du groupe Wagner à Rostov-sur-le-Don, samedi

… l’avenir de Wagner ?

Fondé en 2014, le groupe Wagner est une organisation paramilitaire russe active dans plusieurs régions du monde, notamment en Afrique. « La Russie a beaucoup diffusé sa puissance, son impact grâce à cette milice paramilitaire », rappelle Edouard Pontoizeau, analyste au Center for Russia and Eastern Europe Research à Genève, en Suisse, et coordonnateur du Réseau québécois d’études post-soviétiques.

Selon lui, la défiance de son chef envers Moscou pourrait être mal perçue à l’international. « À qui ira la loyauté de ces dizaines de milliers de mercenaires de Wagner, dans le monde entier, si Prigojine est lui-même considéré comme un traître ? », se demande M. Pontoizeau. La légitimité et la crédibilité du groupe pourraient aussi être affectées auprès des régimes qui ont choisi Wagner et la Russie pour assurer leur sécurité, notamment dans le Sahel et en Amérique latine, observe l’analyste.

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Des Russes se font prendre en photo avec un char du groupe Wagner, à Rostov-sur-le-Don, samedi.

… la population russe ?

De manière générale, la population russe soutient la guerre en Ukraine, affirme Dominique Arel. Comment percevra-t-elle la rébellion du groupe Wagner ? Il y a deux possibilités, estime-t-il. Soit Evguéni Prigojine est perçu comme un traître, soit sa défiance est considérée comme légitime dans la mesure où il critique la corruption du régime.

Selon Edouard Pontoizeau, les revendications de l’organisation paramilitaire pourraient aussi trouver un écho en Russie. Depuis la Seconde Guerre mondiale, celle-ci est « réputée pour envoyer ses soldats au front comme de la chair à canon ». « Et ce qu’est en train de dire Prigojine, c’est : on ne veut plus ce genre de fonctionnement. C’est une remise en question de l’édifice militaire russe », note-t-il.

… le reste du monde ?

Samedi, les réactions politiques se sont faites plutôt rares en Occident. « Nous sommes en contact avec nos alliés et nous continuerons de suivre la situation de près », a sobrement déclaré le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, sur Twitter. Plus tôt, il s’était réuni avec la vice-première ministre, Chrystia Freeland, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, et la ministre de la Défense nationale, Anita Anand, entre autres, afin de faire le point sur la situation en Russie.

« Le fait que tout ça se passe en Russie, le fait que la Russie est un pays qui a l’arme nucléaire, des armes chimiques, un des pays les plus militarisés de la planète… C’est certain qu’il faut y aller avec la plus grande prudence au niveau international », soutient François Audet, directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires de l’UQAM. D’après lui, « la diplomatie internationale doit faire son travail avec toute la minutie, la délicatesse et le doigté possible pour influencer ce qui se passe ».