Certains passent leur année à les planifier, les rêver. Les vacances sont le lieu de tous les rêves, un catalyseur de projets. Parfois, un siphon qui laisse un trou béant dans le budget. Comment aborder nos vacances d’une manière saine ? Réponses dans ce reportage à lire sur un transat. Avec une limonade.

« Le tourisme est l’une des industries les plus importantes du monde. Après la COVID-19, on est de retour à 80 % de l’activité prépandémique, explique Eugene Thomlinson, professeur de tourisme à la Royal Roads University de Victoria, en Colombie-Britannique. C’est revenu beaucoup plus rapidement que ce que les experts avaient prévu. Ils s’attendaient à ce retour en 2024 et 2025. »

Comme plusieurs de ses collègues qui observent l’industrie du voyage, le professeur Thomlinson attribue cette reprise rapide à ce que l’on appelle le tourisme « de revanche », c’est-à-dire cette hâte de plusieurs à vouloir voyager maintenant alors que c’était interdit durant la pandémie.

Mais il y a plus.

Avant 2020, on entendait déjà parler de « tourisme de la dernière chance ». Une partie des voyageurs ont dans leur ligne de mire des destinations menacées. Des endroits qu’il faut voir avant de mourir, mais avant qu’ils ne meurent eux-mêmes.

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Plongeur explorant la Grande Barrière de corail, au large de la côte du Queensland au nord-est de l’Australie

« Comme la Grande Barrière de corail, cite en exemple Eugene Thomlinson. Ou les glaciers polaires ou les ours polaires. »

Évidemment, il y a quelque chose de très contradictoire à faire des milliers de kilomètres en avion pour voir une beauté naturelle menacée de disparition par les changements climatiques.

Les gens ont ce genre de contradictions lorsqu’ils voyagent. Ils compartimentent leur côté rationnel. Ils font des tas de choses qu’ils ne feraient jamais à la maison.

Eugene Thomlinson, professeur de tourisme à la Royal Roads University de Victoria

La logique s’applique aussi au budget.

Car on veut profiter du moment. Pour de nombreux vacanciers, une fois rendus sur place, que ça soit à Magog ou à Vilnius, ce n’est pas le temps de regarder la dépense.

C’est tentant de visiter l’observatoire du One World Trade Center à New York ou de s’offrir une guédille au homard en Gaspésie. À quatre sandwichs (avec frites et, pourquoi pas, une IPA pour les parents), la facture monte vite !

« Parfois, c’est lié au FOMO [pour Fear of missing out], cette peur de rater quelque chose, explique Eugene Thomlinson. Parfois, c’est aussi qu’on se dit que ça restera toujours moins cher de le faire maintenant que de revenir une autre fois. Il y a plusieurs justifications pour dépenser plus. On met ça sur la carte de crédit et on payera plus tard. »

À force d’un petit extra par-ci, par-là, on peut rapporter une lourde dette dans ses valises.

Comment expliquer alors que l’année d’après, on ait oublié que le compte de carte de crédit a fini par arriver ?

« On a une mémoire très sélective, explique Eugene Thomlinson. On préfère se rappeler les expériences incroyables qu’on aura vécues. On oublie qu’on paye encore notre compte de carte de crédit… »

Chers, les voyages en 2023

Si les vacances et les voyages sont devenus une dépense courante, ça n’a pas toujours été le cas.

Jadis, on les voyait plutôt comme un luxe, à s’offrir s’il restait de l’argent à la fin de l’année, explique Eugene Thomlinson.

« Je crois que cela a changé avec l’arrivée des vols au rabais qui rendent les voyages accessibles. Tout le monde peut désormais se permettre cette superbe destination. »

Ainsi, le budget des voyages et autres escapades vacances obéit à des pressions qui échappent parfois à la raison.

La preuve : malgré l’inflation, les Québécois comptent dépenser davantage cette année pour leurs vacances – qu’elles comprennent un voyage ou non. En moyenne, le budget par vacancier passe à 1043 $ cette année alors qu’il était de 848 $ en 2022, selon l’enquête annuelle de CAA.

Andréane Laroche, propriétaire de l’agence Voyages Bélaro de Mirabel, le confirme : les Québécois voyagent beaucoup depuis la reprise des activités touristiques. Même si les prix ont beaucoup augmenté.

« Prenons l’exemple des billets d’avion pour l’Europe, dit-elle. Avant la pandémie, on s’en tirait entre 800 $ et 1200 $. Aujourd’hui, 1200 $, c’est rare. On peut calculer jusqu’à 2000 $ pour le billet d’avion. »

L’effet boomerang est toutefois plus fort, dit Andréane Laroche : après deux années à la maison, l’appel du voyage est puissant.

Cette observatrice note aussi une grande soif de luxe. Une partie de sa clientèle va opter pour des complexes 5 étoiles et des destinations de croisières luxueuses. « Les gens ont besoin des voyages », dit-elle, admettant que personne n’aborde le sujet de l’empreinte écologique au moment de faire ses réservations.

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Durant la pandémie, les gens ont redécouvert les destinations locales et le plein air.

Changement de cap

C’est vrai, mais la pandémie a tout de même changé la donne pour une partie des voyageurs, nuance Eugene Thomlinson.

Les gens ont redécouvert les destinations locales et le plein air. On voit maintenant plus de gens qui veulent voyager en nature et qui recherchent des expériences authentiques.

Eugene Thomlinson, professeur de tourisme à la Royal Roads University de Victoria

« On peut le mesurer dans le tourisme autochtone qui est en pleine croissance », cite-t-il en exemple.

« On voit aussi beaucoup plus de tourisme de régénérescence. Ce n’est plus du tourisme durable, où le but est de laisser la destination telle qu’à l’arrivée. On va plus loin avec le tourisme de régénérescence. On veut la laisser mieux. »

La journaliste et animatrice Sophie Fouron a beaucoup voyagé. Notamment pour le travail, pour réaliser ses séries télé comme Chacun son île et Ports d’attache.

Elle confirme : « La pandémie nous a forcés à nous questionner sur la façon dont on voulait voyager », dit-elle, avouant qu’elle a récemment redécouvert le bonheur de prendre ses vacances au Québec et de la balade sur le mont Royal.

« Il y a quelque chose de magique à voyager localement, dit-elle. On encourage les industries d’ici. » La satisfaction de réduire notre empreinte écologique est aussi bel et bien là, dans son cas.

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Sophie Fouron

L’idée n’est pas de voyager plus, mais de changer notre façon de voyager.

Sophie Fouron

Et dans cette mouvance de voyager mieux, il y a la gestion des vacances qui est à repenser, dit Sophie Fouron, qui préfère maintenant savourer avec plus de lenteur cette pause professionnelle. Et plus de plénitude.

« J’essaie de ne plus faire de “survacances”. De ne plus performer en vacances. »

Les survacances sont cette tendance à transformer le temps libre en marathon d’activités qui commencent généralement la minute qui suit la fin du travail. Une pression particulièrement forte avec des enfants, dit l’animatrice, car on craint (à tort) qu’ils ne s’ennuient.

« On a tellement peur de ne pas profiter de nos vacances », dit Sophie Fouron.

« Il faut désorganiser nos vacances, poursuit-elle. Il faut laisser la vacance nous organiser. Laisser le temps aller et voir de quoi on a envie. »

53 %

Le voyage a encore la cote : 53 % des Canadiens avaient l’intention de voyager à l’extérieur du pays cette année et la moitié avait l’œil sur des vacances en formule tout-compris.

Source : Sunwing, sondage mené auprès de 1515 Canadiens en novembre 2022

29 %

L’inflation a tout de même changé les plans de certains Québécois. Parmi ceux qui ne prennent pas de vacancescette année, pratiquement le tiers (29 %) invoquent des raisons budgétaires.

Source : CAA

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Un voyage peut coûter très cher... ou pas.

Cinq conseils pour une meilleure planification

Un voyage n’est pas nécessairement des vacances. Et vice-versa. Mais dans les deux cas, cette pause de la vie routinière peut coûter très cher. Ou pas. Voici des idées de l’autrice Béatrice Bernard-Poulin, qui a fait du « vivre mieux et moins cher » sa spécialité.

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Une question à se poser avant de faire ses plans : quel est l’objectif de mes vacances ?

Définissez vos besoins

Une question à se poser avant de faire ses plans aide beaucoup à recadrer le projet et pourrait mener à des décisions qui sont nettement plus en accord avec son budget : quel est mon objectif ?

Autrement dit : de quoi avez-vous besoin ?

Si c’est de repos, partir en avion à l’autre bout du monde avec un programme très chargé n’est peut-être pas la meilleure option. La nature est peut-être un meilleur plan – et les vacances risquent de coûter moins cher.

Par contre, on peut aussi vouloir être très actif et c’est très bien, dit Béatrice Bernard-Poulin. Dans les deux cas, l’idée est de savoir vers quel type de vacances on s’aligne pour éviter de se disperser.

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Certains voyageurs préfèrent dépenser davantage pour un hébergement très confortable, alors que d’autres préfèrent s’offrir un bon resto et payer moins cher pour la nuitée.

Soyez réaliste

Les principaux pôles de dépenses pour un voyage sont le transport, l’hébergement et les repas. Ajoutez à cela les activités et les achats de souvenirs. Dans les outils de planification de voyage qu’elle propose, Béatrice Bernard-Poulin calcule toutes les dépenses, incluant les vaccins et les visas, ainsi qu’une marge de manœuvre pour les imprévus.

Elle conseille aussi de calculer le budget quotidien, ce qui permet de suivre les dépenses durant les vacances.

On doit respecter ses priorités : certains voyageurs préfèrent dépenser davantage pour un hébergement très confortable, voire luxueux, où ils flâneront au lit, et iront souper au marché. D’autres, comme Béatrice Bernard-Poulin, préfèrent s’offrir un bon resto et payer moins cher pour la nuitée. L’auberge de jeunesse ? Pourquoi pas !

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Pourquoi ne pas considérer la simple balade à pied ou en vélo avant les activités qui coûtent de l’argent ?

Pensez à l’envers

« Naturellement, on regarde en premier tout ce qui coûte de l’argent », lance Béatrice Bernard-Poulin. On va donc planifier les visites payantes (musées, via ferrata, excursion sur l’eau, etc.) pour ensuite compléter avec la balade en nature ou la journée de lecture à la plage publique ou au parc. La conseillère propose de faire l’inverse.

C’est un réflexe que l’on a pour des voyages plus longs, mais qu’on oublie pour une escapade de quelques jours.

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Béatrice Bernard-Poulin

Quand on fait un week-end ou une journée de congé, on regarde moins la dépense. On finit par dépenser autant en trois jours qu’en une semaine ou deux.

Béatrice Bernard-Poulin

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« Les plus belles journées sont celles où il y a une ou deux activités qui sont des bonheurs simples », affirme Béatrice Bernard-Poulin

Planifiez des activités, mais pas trop

« Les plus belles journées sont celles où il y a une ou deux activités qui sont des bonheurs simples. On n’a pas besoin de se compliquer la vie », dit l’autrice, dont le livre Ça coûte cher être un adulte sera republié le 16 août, en version révisée et ajustée à la situation économique actuelle.

Selon elle, on a ce réflexe de consommer en vacances, de payer pour des plaisirs, alors que ce n’est pas essentiel.

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Mieux vaut construire son budget voyage avant de partir, en lui consacrant une enveloppe réservée.

Rêvez les prochaines

La recommandation est bien connue : mieux vaut construire son budget voyage avant de partir, en lui consacrant une enveloppe réservée, à la hauteur de ce qu’on peut y consacrer.

« L’épargne automatique simplifie la vie », dit Béatrice Bernard-Poulin, qui précise toutefois que l’exercice est plus simple pour un salarié qui a des entrées d’argent régulières.

Dans tous les cas, cela commande une certaine rigueur et il faut éviter de vider le compte au moindre imprévu…

Par contre, cela a aussi des avantages : avec un compte voyage, il risque d’y avoir des fonds disponibles durant le temps des Fêtes, alors que certains soldes de l’Après-Noël proposeront des nuitées au rabais ou des billets d’avion moins chers.

Bon à savoir : les institutions financières proposent des outils d’épargne particulièrement pour les voyages.

« J’encourage aussi les gens à prépayer des choses avant le départ », dit la blogueuse. Par exemple, l’hôtel qui offre un rabais pour ceux qui payent la totalité de la note au moment de la réservation. « Comme ça, tu ne te retrouves pas au retour avec un compte de carte de crédit que tu ne peux pas payer. »