Ironiquement, c’est arrivé sur la côte Joyeuse. À Saint-Raymond, non loin de Québec. Les deux trentenaires ont été violemment éjectés de leur moto quand un VUS arrivant en sens inverse est sorti de sa voie.

Morts. Tous les deux.

La conductrice du VUS – une dame de 61 ans qui a subi de légères blessures – a été accusée de conduite avec les facultés affaiblies.

C’est arrivé sur la côte Joyeuse, il y a deux semaines. Mais ça arrive partout à travers le Québec, pas juste durant les vacances de la construction qui ont été si meurtrières cette année.

Après des décennies d’amélioration du bilan routier, le Québec est sur une mauvaise pente.

En 2022, 392 personnes sont décédées sur nos routes, une hausse de 13,2 % par rapport à la moyenne des cinq années précédentes.

Depuis cinq ans, près du tiers des conducteurs décédés avaient de l’alcool dans leur sang1. Et ces chiffres n’incluent pas les morts autres que les conducteurs. Ni les blessés dont la vie a été chamboulée. Ni les dommages matériels.

Qu’est-ce qu’on attend pour raffermir nos règles sur l’alcool au volant ?

Ça fait plus de 10 ans que l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) recommande d’abaisser le taux d’alcool maximal de 0,08 à 0,05. La Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) considère qu’il s’agit d’une « mesure porteuse ».

Mais Québec tergiverse. Plusieurs projets de loi en ce sens ont abouti dans un cul-de-sac.

Passons à l’action.

Attention : on ne parle pas de réduire la limite criminelle de 80 mg par 100 ml de sang. Simplement d’imposer une amende ou une suspension temporaire du véhicule au-delà de 0,05, comme dans toutes les autres provinces, sans exception.

La limite de 0,05 s’applique aussi dans de nombreux pays, comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la France, la Belgique, l’Espagne, le Portugal, la Suisse… D’autres sont encore plus sévères, comme le Japon (0,03), la Norvège et la Suède (0,02).

Bref, le Québec est dans le champ avec la limite actuelle de 0,08 qui est devenue anachronique. La science est claire : entre 0,05 et 0,08, on a quatre fois plus de risques de causer un accident mortel2.

Dès 0,05, les tests en circuit fermé démontrent que le conducteur a plus de difficulté à accomplir des tâches simples, comme rester au milieu de la voie ou garder une distance sécuritaire avec les autres véhicules. Même à faible dose, l’alcool désinhibe, ce qui fait en sorte que les conducteurs sont susceptibles d’avoir le pied plus pesant. Aussi, les risques de somnolence sont plus élevés.

Ce n’est pas pour rien que les gouvernements qui ont réduit la limite à 0,05 ont vu une amélioration significative de leur bilan routier. Ainsi, les collisions causant la mort ont chuté de 18 % après la modification en Australie. Idem dans l’Utah, le premier État américain à réduire la limite sous les 0,08 en 20183.

Pour être pleinement efficace, la limite de 0,05 doit s’accompagner d’autres mesures, à commencer par des barrages policiers plus fréquents.

Il faut aussi davantage de prévention pour inciter les conducteurs à adapter leur conduite. Avant, les gens se demandaient : « Combien de verres puis-je boire pour ne pas dépasser la limite ? » Trop souvent, ils surestimaient leurs capacités. Aujourd’hui, ils devraient plutôt se dire : « Si je bois, je ne conduis pas. » Et planifier leur retour en conséquence, dès le départ.

Transport collectif, taxi, chauffeur désigné… ce ne sont pas les options qui manquent. Mais on gagnerait à renforcer les services de raccompagnement à l’année, comme ceux de CAA-Québec.

Il faudrait aussi davantage de formation chez les serveurs des bars et des restaurants, à l’instar d’autres provinces où cela est obligatoire.

Et davantage d’initiatives comme CoDeBars, qui permet à un conducteur désigné de boire des consommations sans alcool gratuites au même rythme que ses amis qui prennent de l’alcool. À Sherbrooke, à Gatineau, à Laval et dans l’agglomération de Longueuil, plus d’une centaine de bars et de restaurants participent4.

Bravo !

Alors que le marché des boissons sans alcool est en plein essor, les bars et les restaurants doivent prendre ce virage, au lieu de se braquer comme ils le font depuis des années contre l’imposition d’une limite de 0,05, par crainte de perdre des revenus.

Les mœurs changent. Québec doit en prendre acte.

La vice-première ministre Geneviève Guilbault a montré qu’elle pouvait avoir de la poigne lorsqu’elle était ministre de la Sécurité publique. Elle n’a pas lésiné pour lutter contre la violence conjugale. C’est tout à son honneur.

Maintenant qu’elle est aux Transports, elle doit faire preuve de la même détermination pour sauver des vies sur les routes du Québec.

Bien sûr, aucun gouvernement ne veut avoir l’air « casseux de party ». Mais la Coalition avenir Québec (CAQ) a été élue avec une forte majorité et les prochaines élections sont encore loin. Le gouvernement a la marge de manœuvre pour aller de l’avant.

Il est temps de passer à 0,05. Point final.

1. Consultez des données de la SAAQ 2. Consultez un document de l’INSPQ 3. Consultez un rapport du département des Transports des États-Unis (en anglais) 4. Consultez le site de CoDeBars
En savoir plus
  • 85
    Nombre de décès survenus chaque année, en raison de l’alcool (en moyenne, de 2017 à 2021)
    Source : SAAQ
  • 200
    Nombre de personnes gravement blessées chaque année, en raison de l’alcool (en moyenne, de 2017 à 2021)
    Source : SAAQ
Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion