Oubliez le cliché de l’étudiant universitaire qui partage un appartement avec trois colocs, s’alimente principalement de nouilles instantanées et connaît par cœur les heures où les différents bars offrent des deux pour un sur la bière.

Un dossier récent de notre collègue Stéphanie Bérubé nous apprend que certains étudiants mènent un train de vie très éloigné de ces standards⁠1. Un cadeau des institutions financières, qui leur accordent des marges de crédit mirobolantes. C’est notamment le cas pour les futurs médecins et dentistes, même si la problématique est plus large.

Voiture, voyages, restos : la vie semble belle quand on a l’impression que tout s’ouvre devant soi et qu’on peut dépenser des dollars sans les avoir encore gagnés.

Pour plusieurs, il s’agit toutefois d’un cadeau empoisonné.

Le dossier montre à quel point certains étudiants se retrouvent pris à la gorge après avoir bénéficié de ce crédit beaucoup trop facile.

À l’aube de leur vie professionnelle, ils sont endettés, acculés à la faillite, incapables de contracter une hypothèque.

Les banques ont un examen de conscience à faire.

On peut supposer que la plupart des étudiants gèrent ces marges de crédit de façon responsable, même si les banques que nous avons contactées ont refusé de nous transmettre le taux de mauvaises créances « pour des raisons concurrentielles ».

Il reste qu’il y a un problème.

Il existe déjà un système pour soutenir financièrement les étudiants au Québec : les prêts et bourses du gouvernement provincial. Comme il s’agit d’un programme d’aide et non d’une ligne d’affaires commerciale, il offre des conditions avantageuses.

En plus de ces prêts et bourses, un étudiant en médecine peut aujourd’hui contracter auprès de sa banque une marge de crédit pouvant atteindre jusqu’à 95 000 $ à sa première année d’études et jusqu’à 350 000 $ pour l’ensemble du programme.

On parle de gros bidous.

Un travailleur qui voudrait avoir 95 000 $ net dans ses poches devrait gagner plus de 150 000 $.

Pour les étudiants, ces marges sont d’autant plus problématiques que les taux d’intérêt qu’ils paieront varient selon les fluctuations du marché. Impossible de prévoir, en pigeant dans le pot, combien cela coûtera au total.

On dira – et c’est le calcul que font les banques – que les étudiants auront éventuellement d’importants revenus, particulièrement ceux qui fréquentent des programmes comme la médecine ou le droit.

C’est généralement vrai. Mais c’est oublier que la vie n’est pas toujours une ligne droite. Un étudiant peut couler des examens, changer de programme d’études, tomber malade, ne pas décrocher l’emploi espéré.

Il se retrouve alors avec des dettes à rembourser, avec des revenus moindres que prévu et très peu d’actifs.

Depuis 2019, le principe de « prêteur responsable » est inscrit dans la Loi sur la protection du consommateur. Il stipule qu’un prêteur doit vérifier la capacité de rembourser d’un consommateur et faire un budget avec lui avant de lui prêter de l’argent.

Ce changement législatif n’a toutefois eu aucun impact sur les banques et les caisses. Comme celles-ci sont déjà très réglementées, elles sont automatiquement « réputées » être des prêteurs responsables selon la loi.

Il est vrai que les banques rencontrent toujours les étudiants avant de leur accorder des marges de crédit. On peut supposer que, techniquement, elles remplissent leurs obligations légales.

On peut toutefois se demander si elles respectent bien l’esprit du principe de prêteur responsable en accordant des marges de crédit aussi importantes à des étudiants qui possèdent très peu d’actifs, uniquement sur la base de revenus futurs et hypothétiques.

Il est en tout cas ironique d’entendre le grand patron de Desjardins, Guy Cormier, s’inquiéter récemment de « l’iniquité générationnelle » tout en offrant des produits aussi risqués aux jeunes.

En attendant que les institutions financières calment leurs ardeurs, on peut miser sur l’éducation. L’Université de Sherbrooke offre désormais un cours de finances personnelles obligatoire aux étudiants de médecine. Cela devrait être généralisé, et pas seulement en médecine.

Personne n’a besoin de 350 000 $ pour faire des études universitaires. Au lieu de leurrer leurs clients avec du crédit facile, les institutions financières devraient bâtir des relations saines et à long terme avec eux. Ce serait au bénéfice de tous.

1. Lisez « Les dettes, gangrène des étudiants en médecine » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion