Il y a de l’amiante et de la moisissure plein les murs. Des rongeurs morts aussi. La plomberie fuit et le système électrique est tellement vieux qu’il pourrait déclencher un incendie.

Parle-t-on d’un taudis où aboutira un malheureux locataire en cette grande journée des déménagements ? D’un logis qui fait l’objet d’une rénoviction en pleine crise du logement ?

Du tout !

Il s’agit plutôt de la résidence officielle du premier ministre du Canada qui devrait être un puissant symbole de notre démocratie et une figure de proue de notre patrimoine.

Les États-Unis ont la Maison-Blanche. La France a le palais de l’Élysée. Le Royaume-Uni, le 10 Downing Street. Le Canada, lui, a un édifice qui se retrouve dans un état tellement critique qu’on a dû le mettre officiellement hors service en novembre dernier.

En ce 1er juillet, jour de la fête du Canada, disons-le crûment : le 24 Sussex est une honte nationale. C’est un fiasco qui en dit long sur la façon dont nos politiciens gèrent le pays.

Construit en 1867, le 24 Sussex est victime de sous-financement chronique et n’a connu aucune rénovation substantielle depuis 60 ans.

Aucun premier ministre ne veut y faire des travaux majeurs, de peur que la population lui reproche de dépenser des millions pour vivre dans le luxe. Pourtant, la durée des travaux fait en sorte que le premier ministre qui lancerait un grand chantier ne serait probablement pas celui qui en profiterait.

Quoi qu’il en soit, rien ne bouge.

En 2008, la commission qui gère les résidences officielles estimait le coût des travaux essentiels au 24 Sussex à 9,7 millions. Cela n’a pas ému Stephen Harper. Quant à Justin Trudeau, il a préféré emménager à Rideau Cottage, la maison d’invités de la gouverneure générale, d’où on l’a vu faire ses points de presse en pandémie… pendant que les souris couraient sur le balcon.

Conséquence ? Le déficit d’entretien du 24 Sussex a quadruplé et s’élève maintenant à 37 millions1.

Infrastructures, défense, environnement… Quand on y pense, il y a bien des dossiers cruciaux que nos politiciens, tant libéraux que conservateurs, ont laissés pourrir comme le 24 Sussex.

Par crainte de répercussions à court terme, ils sont incapables d’avoir une vision stratégique qui leur permettrait d’apporter des changements structurels essentiels. Plus ils attendent, plus les problèmes s’aggravent. Et plus ça coûte cher aux contribuables.

Pensez au pont Champlain que le fédéral a dû remplacer en catastrophe.

Dès 2006, le gouvernement avait été avisé qu’il vaudrait mieux remplacer le pont plutôt que de continuer à le réparer. Mais au lieu d’agir, Ottawa a attendu jusqu’en 2011 pour lancer le projet. Et ce retard a coûté plus d’un demi-milliard aux Canadiens.

De la procrastination, il y en a aussi à la Défense.

Depuis la chute du mur de Berlin, nos politiciens successifs ont sabré les dépenses militaires, plus soucieux d’équilibrer leurs budgets que de faire face à un danger qui semblait disparu dans l’esprit du public réticent à investir dans l’armement.

Ajoutez à cela une vilaine dose de partisanerie et on se retrouve avec des sagas comme celle des CF-18 que le gouvernement Harper a voulu remplacer par des F-35 en 2010. Le processus d’acquisition bâclé a été démonisé par Justin Trudeau, qui a déchiré le contrat quand il a pris le pouvoir en 2015.

Huit ans plus tard, le chef libéral a finalement annoncé l’achat… de F-35. Tout ça pour ça ! Et en attendant, le gouvernement est obligé d’investir des centaines de millions pour faire voler ses vieux avions de combat.

La lutte contre les changements climatiques est un autre domaine où les réticences de l’opinion publique empêchent les politiciens de mettre en place toutes les mesures requises pour atteindre les cibles fixées (Ottawa a même acheté un pipeline).

Après une décennie d’efforts, les émissions de GES du Canada risquent de rebondir à des niveaux records en 2022 et 2023, selon les prévisions des économistes de la Banque Nationale, pour se situer 75 % au-dessus de la cible de 2030.

Plus on tarde à inverser la tendance, plus les conséquences seront coûteuses en argent… et en vies. Rappelez-vous le dôme de chaleur extrême en Colombie-Britannique qui a causé 526 décès en 2021.

Pourtant, quand les politiciens travaillent main dans la main, ils peuvent mener des réformes essentielles à long terme, même si elles exigent un effort à court terme. La bonification de nos régimes de retraite (RRQ/RPC) en est un bel exemple : la hausse des cotisations permettra d’améliorer la sécurité financière des générations futures.

Au 24 Sussex, il est temps de laisser la politicaillerie au vestiaire… et d’agir.

Faut-il démolir ou rénover ? Faut-il y ramener le premier ministre ou changer la vocation de la résidence ? Pour en faire quoi ? Un musée ? Une ambassade ?

Peu importe la solution, le premier ministre du Canada doit avoir une résidence officielle digne d’un dirigeant du G7.

Cette résidence est bien plus qu’une simple maison. C’est le reflet du Canada aux yeux de la population et de ses visiteurs, qu’ils soient de simples touristes ou de hauts dignitaires. C’est un miroir qui nous renvoie l’image de notre pays. Mais pour l’instant, tout ce qu’on y voit, c’est une vieille demeure en décrépitude qui ne dit rien de bon sur le Canada et ses dirigeants.

Finie la procrastination. Il est temps que ça bouge.

1. Consultez le rapport sur les résidences officielles du Canada Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion