On peut bien se réjouir qu’Ottawa envoie 15 chars Léopard II en Lettonie où les troupes canadiennes dirigent une opération pour décourager la Russie de mettre le pied dans les pays baltes.

Mais cette belle annonce ne peut pas masquer le fait que nos soldats sont tellement mal équipés qu’ils paient de leur propre poche pour acheter du matériel de base : des imperméables, des ceintures pour les munitions ou encore des casques modernes permettant d’atténuer le son.

C’est une vraie honte ! Surtout qu’il s’agit d’équipement assez facile à obtenir, pas de technologies hyper sophistiquées. Et les soldats des autres pays qui participent à la mission arrivent avec des équipements plus avancés, fabriqués au Canada par-dessus le marché, comme le révélait CBC News au début de juin⁠1.

Cette situation gênante n’est pas sans rappeler le début des années 2000, lorsque les troupes canadiennes avaient été envoyées avec des uniformes de camouflage verts en plein désert de l’Afghanistan, faisant d’eux des cibles de choix, alors que les troupes américaines avaient l’habillement approprié.

Misère ! On parle de guerre, pas de mascarade.

Il faut se rendre à l’évidence, l’approvisionnement de l’armée canadienne est en crise, comme en ont témoigné plusieurs anciens militaires de haut rang, la semaine dernière, devant le Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes.

La lourdeur bureaucratique fait en sorte qu’Ottawa n’arrive pas à dépenser les sommes promises en équipements. Le ministère de la Défense a sous-utilisé son budget de 10 milliards sur quatre ans (de 2017-2018 à 2020-2021), selon le directeur parlementaire du budget⁠2.

Le processus décisionnel est si lent que l’équipement est parfois désuet lorsqu’il est finalement livré aux soldats après de longues années d’attente.

Uniformes, pièces de rechange, livres… Une fois sur deux, les militaires reçoivent le matériel en retard, constate la vérificatrice générale, Karen Hogan. Et les retards sont encore plus fréquents dans le cas d’articles prioritaires qui répondent à des besoins critiques.

Ces retards dans l’achat d’équipement nous nuisent sur plusieurs fronts.

D’abord, ça réduit la capacité de la Défense canadienne de s’acquitter de ses missions et de gérer ses ressources de manière efficiente.

Ensuite, ça n’aide pas à recruter les soldats – dont l’armée manque cruellement – lorsque les recrues voient qu’elles mettent leur santé en péril à cause du manque d’équipement.

Ce n’est pas comme ça non plus qu’on convaincra nos alliés traditionnels de nous prendre au sérieux sur le plan militaire.

Par exemple, le Canada voudrait bien entrer dans l’alliance tripartite « AUKUS » (Australie-UK-US) conclue en 2021 pour contrer les ambitions de la Chine dans la région indo-pacifique. À long terme, notre absence de ce partenariat pourrait nous exclure d’un important partage de connaissances stratégiques et technologiques, dans des domaines d’avenir comme l’intelligence artificielle ou encore l’informatique quantique.

Si le Canada ne veut pas rester sur la voie de service, il devra démontrer un engagement plus ferme à atteindre le niveau de dépenses militaires requis par l’OTAN, soit 2 % du PIB.

L’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni y sont. Mais le Canada reste loin de la cible, malgré un engagement à relever le niveau de dépense de 1,33 % en 2022-2023 à 1,59 % en 2026-2027.

Au-delà de l’argent, il faut aussi une meilleure responsabilisation dans l’achat d’équipement militaire qui est à cheval entre le ministère de la Défense et celui de l’Approvisionnement.

Pour réduire la confusion et les coûteux dédoublements, il serait judicieux de confier la tâche à un seul ministère, dont on pourrait mesurer la performance plus aisément.

L’idée est dans l’air depuis des années. Qu’attend-on pour passer à l’offensive ? Alors que les menaces de la Russie et de la Chine s’intensifient, nos soldats méritent d’être équipés de pied en cap.

« Avec pas d’casque », ça sonne bien pour un groupe de musique folk montréalais. Mais pour les Forces armées, pas du tout.

1. Lisez « An “embarrassing” gear shortage has Canadian troops in Latvia buying their own helmets » 2. Consultez le document « Dépenses en capital prévues au titre de la politique de défense du Canada protection, sécurité, engagement : mise à jour de 2022 » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion