Est-ce le smog qui embrouille la colline parlementaire à Ottawa ? Parce qu’à lire les manchettes des derniers jours, on dirait que personne ne voit clair au gouvernement.

Tant sur la question de l’ingérence de la Chine dans notre démocratie que sur le transfert du meurtrier Paul Bernardo, les ministres responsables des dossiers n’ont rien vu des avertissements qu’on leur a pourtant fournis.

Deux dossiers explosifs. Deux ministres qui avaient les yeux grands fermés, pour reprendre le titre du film de Stanley Kubrick.

Parlons d’abord de l’actuel ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino. Mardi, CBC News a révélé que le Service correctionnel du Canada avait informé son cabinet trois mois à l’avance du transfert de Paul Bernardo, dont les crimes sexuels abjects ont traumatisé le Canada tout entier.

Lisez l’article de CBC News (en anglais)

Mais le ministre jure qu’il n’a appris que le lendemain du transfert, soit le 30 mai, que le meurtrier avait été déplacé d’une prison à sécurité maximale vers l’établissement à sécurité moyenne de La Macaza, au Québec.

C’est quand même incroyable que son personnel n’ait pas cru bon de le prévenir plus tôt. Mais, comme dit le proverbe, il n’est pire aveugle que celui qui ne veut rien voir.

Passons à l’ancien ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, qui semble aussi avoir de la brume dans ses lunettes.

Mardi, le grand patron du Service canadien du renseignement de sécurité a certifié devant un comité parlementaire qu’il avait envoyé, dès mai 2021, une note pour avertir spécifiquement le ministre que le député conservateur Michael Chong était la cible d’intimidation de la part de la Chine dont il avait critiqué les politiques.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de la Protection civile, Bill Blair

Étrangement, le ministre Bill Blair n’a jamais vu passer le mémo.

Ici encore, à qui la faute ? À la bureaucratie qui laisse tomber de l’information névralgique entre deux chaises ? Ou au ministre qui garde les yeux fermés sur des enjeux sensibles ?

En tout cas, la preuve est faite que la main gauche ne sait pas ce que fait la main droite, ce qui embourbe la bureaucratie à Ottawa.

Semaine après semaine, la fonction publique fédérale nous fournit de nouveaux exemples de son incurie. Jugez vous-même…

Lundi, la démission historique du juge de la Cour suprême Russell Brown – un autre dossier où les Canadiens mériteraient de voir plus clair – a remis à l’ordre du jour la mécanique encrassée du processus de nomination des juges.

La situation est si grave que le juge en chef de la Cour suprême, Richard Wagner, s’en est plaint par écrit au premier ministre Justin Trudeau, en mai dernier.

Il manque environ 80 juges sur environ 1200 dans les cours fédérales. Plusieurs tribunaux du pays roulent avec 10 ou 15 % de postes vacants, car les postes mettent parfois plus d’un an à être pourvus.

Tout cela a une incidence majeure sur le système de justice au pays, en allongeant les délais, ce qui risque de faire avorter des procès. L’inertie du gouvernement est inexcusable, car il ne manque pas de candidats pour devenir juge. De grâce, un peu de célérité.

La lenteur d’Ottawa accable aussi l’industrie du tourisme. Des milliers de participants à un congrès médical à Montréal ont dû annuler leur présence, rapportait mercredi notre collègue Suzanne Colpron.

Lisez l’article « Visas de visiteur : des délais qui font mal à Montréal »

C’est que l’obtention du visa dont les visiteurs de quelque 150 pays ont besoin pour entrer au Canada prend un temps complètement fou : 332 jours pour le Sénégal, 737 jours pour le Nigeria, 914 jours pour Antigua-et-Barbuda…

Comment peut-on laisser les gens poireauter deux ans et demi ? Ces délais inadmissibles donnent l’impression que le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada baigne dans la purée de pois depuis des années.

Mais ce n’est pas tout.

Selon une analyse du Toronto Star diffusée jeudi, le fédéral est aussi en retard dans ses promesses de lutte contre les changements climatiques.

Lisez l’article du Toronto Star (en anglais)

Depuis leur accession au pouvoir en 2015, les libéraux ont promis de déployer 200 milliards de dollars d’ici 2035. Mais il y a un monde entre ces belles annonces et la réalité. Entre 2016-2017 et 2021-2022, près de 8 milliards promis n’ont pas été dépensés ou l’ont été plus tard que prévu.

Cela soulève une question cruciale : avec une bureaucratie qui avance à pas de tortue, le Canada sera-t-il en mesure d’atteindre ses cibles de réduction de GES ?

D’accord, la COVID-19 a pu ralentir la cadence… mais elle commence à avoir le dos large chez les fonctionnaires dont les courriels prennent encore soin d’expliquer, trois ans après le début de la pandémie, l’impact de la COVID-19 sur la livraison des services.

Fondamentalement, il y a quelque chose qui accroche à Ottawa. Certains diront que c’est à cause de la centralisation excessive des décisions au bureau du premier ministre. D’autres diront que c’est parce que le gouvernement est encore à l’âge de pierre numérique.

Chose certaine, ce n’est pas en restant les yeux grands fermés qu’on remettra la bureaucratie en marche et qu’on livrera les services et les engagements auxquels les Canadiens s’attendent.

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