Le gouvernement Trudeau semble (enfin) se résoudre à l’idée de déclencher une commission d’enquête publique et indépendante sur l’ingérence étrangère au Canada.

À la suite de la démission vendredi du rapporteur spécial David Johnston, Ottawa veut consulter les partis de l’opposition et des experts avant de prendre une décision finale pour la suite des choses.

Si cette réflexion est sérieuse, elle aboutira à la conclusion qu’il faut une commission d’enquête publique et indépendante. L’intégrité de nos institutions démocratiques est trop importante et les allégations d’ingérence de la part de la Chine trop sérieuses pour qu’on balaie ce dossier sous le tapis une deuxième fois.

Voici donc ce que le gouvernement Trudeau doit faire :

1) Une vraie commission d’enquête

Oubliez le concept d’un nouveau rapporteur spécial qui poursuivrait le travail de David Johnston. Il faut une véritable commission d’enquête publique et indépendante, en vertu de la Loi sur les enquêtes. Une commission d’enquête a du mordant : elle peut forcer des témoins à comparaître et produire des documents. Les témoins doivent dire la vérité, sinon ils peuvent être accusés de parjure au criminel. Ça permettrait d’aller au fond des choses. Et oui, c’est possible de tenir une commission d’enquête dans un contexte de sécurité nationale. Le fédéral en a tenu plusieurs par le passé⁠1.

2) Un mandat clair

On doit répondre aux trois questions suivantes :

a) Quelles ont été les tentatives d’ingérence étrangère et ont-elles réussi ?

b) Que savait le gouvernement fédéral, depuis quand le savait-il, et comment a-t-il réagi ?

c) Que doit-on faire à l’avenir pour se protéger contre l’ingérence étrangère ?

3) Un juge comme commissaire

Ça prend un commissaire totalement indépendant et impartial. Pas de liens avec le gouvernement Trudeau ni avec un acteur mêlé à ce dossier comme la Fondation Trudeau.

Notre solution : choisir un juge de la Cour fédérale sans lien avec un parti politique avant sa nomination à la magistrature. Plusieurs juges de la Cour fédérale connaissent bien le milieu du renseignement, car ils supervisent les demandes de mandats de surveillance du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Ottawa devrait choisir dans ce groupe de juges qui ont une expertise en sécurité nationale et qui ont déjà leur cote de sécurité.

4) Un processus public… dans la mesure du possible

Comme on traite de sécurité nationale, une bonne partie – probablement la majorité – des audiences auront lieu à huis clos, car cette partie de la preuve (documents confidentiels, témoignages classifiés) ne peut pas être révélée publiquement. À la fin, il y aura deux rapports : l’un confidentiel (pour ceux qui ont la cote de sécurité nécessaire pour le lire, comme des ministres), l’autre public, où on expose les conclusions et les recommandations sans dévoiler de secrets d’État. Ce deuxième rapport sera dévoilé aux Canadiens.

5) S’entendre avec les partis de l’opposition

Dans un monde idéal, tous les partis fédéraux se mettraient d’accord sur le mandat de la commission et l’identité du commissaire.

Nous ne sommes pas dans un monde idéal.

Néanmoins, le gouvernement Trudeau et les partis de l’opposition ont tous une obligation de bonne foi. Les libéraux doivent consulter sérieusement les partis de l’opposition et faire des efforts importants pour obtenir leur appui. Les partis de l’opposition doivent aussi mettre de côté leurs intérêts partisans.

Un exemple ? Le Bloc québécois, qui a par ailleurs fait plusieurs suggestions utiles, veut néanmoins que le mandat inclue la gouvernance de la Fondation Trudeau. Le don chinois à la Fondation Trudeau oui, mais la gouvernance de la fondation n’a pas rapport avec l’ingérence étrangère.

On souhaite que tous les partis fédéraux agissent comme des adultes responsables, pas comme des politiciens qui veulent marquer le plus de points possible auprès de l’électorat.

6) De six mois à un an

Ottawa doit aussi préciser la durée du mandat. David Johnston a pris deux mois pour en compléter la moitié. On sent qu’il a manqué du temps. On voit mal comment une commission d’enquête sérieuse pourrait prendre moins de six mois. Ottawa devrait mettre une date limite d’un an afin que les Canadiens connaissent vraisemblablement les conclusions avant les prochaines élections.

Il est primordial de déclencher cette commission d’enquête d’ici la fin du mois.

On a déjà perdu trop de temps.

1. Commission Arar en 2001-2006, commission Almalki-Abou-Elmaati-Nureddin en 2006-2008, commission sur le vol 182 d’Air India en 2006-2010.

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