Les caribous. C’est curieux, moins il en reste, plus le gouvernement les trouve encombrants. En effet, leur disparition programmée met en pleine lumière l’insoutenable gestion de nos forêts boréales.*

L’animal est capricieux. Il aimerait bien qu’on lui laisse sa principale nourriture qu’il ingère tous les jours, le lichen : sorte de belle mousse croissant dans l’ombre des vieilles forêts résineuses de sapins et d’épinettes. Mais les coupes à blanc massives opérées sur leurs territoires mettent à mal leur nourriture, super longue à se régénérer. Et les chemins forestiers facilitent le passage des loups, prédateurs de notre tendre animal. (Le coût du permis pour abattre ces prédateurs, maintenant classés dans la catégorie « petit gibier », s’élève aujourd’hui à 21 $.)

Ça fait longtemps que l’on constate le déclin de la harde de Val-d’Or. D’une cinquantaine de bêtes répertoriées en 1984, il n’en reste plus que neuf, toutes mises en enclos aujourd’hui.

Ça fait aussi un bon bout de temps que les causes de ce drame sont connues, que la solution est trouvée, unanimement endossée par la communauté scientifique d’ici et d’ailleurs : qu’on leur foute la paix, aux caribous, que leurs territoires de survie soient minimalement protégés contre les interventions industrielles.

Ça fait quand même juste 120 siècles qu’ils broutent ici…

Alors quoi ? Notre ministère responsable de la forêt refuse – sans le dire – de collaborer à cette protection spécifique, et ce, depuis toujours. Il n’y a pas que ça.

Il y a trois ans, 83 projets d’aires protégées élaborés par toute la société civile québécoise ont été dompés dans la toundra, victimes d’un veto du ministre.

Une empreinte historique hante cette institution convaincue que l’approvisionnement des entreprises en bois constitue sa seule raison de vivre, peu importent les mandats auxquels elle est soumise, dont celui de la protection de la ressource. L’origine de cette aberration remonte probablement au temps où les droits de coupes composaient les seules sources de revenus du gouvernement, avant l’instauration de l’impôt. Cette reconnaissance absolue envers l’industrie s’est transformée, avec le temps, en banale servilité.

Bien sûr, le ministère s’est fait brasser quelque peu lors de la diffusion de L’Erreur boréale il y a 25 ans et par la marquante commission Coulombe qui l’a vertement semoncé par la suite. Il a simplement fait le dos rond pendant quelques années puis a tranquillement recouvré son arrogance légendaire.

Un seul personnage public s’est pourtant démarqué parmi la flopée de ministres sans envergure qui ont dirigé le portefeuille forestier ces derniers temps : le regretté Claude Béchard, un libéral, le seul qui a tenté sincèrement d’équilibrer un tant soit peu la conservation de la nature et son exploitation.

En 2005, il a notamment commandé un plan significatif visant la réhabilitation des hardes de caribous forestiers au Québec. Après la triste disparition du ministre, le document fut planqué quelque part dans le bunker1 du ministère.

Quatre ans plus tard, L’Action boréale en a obtenu une copie en douce et l’a rendue publique. Conclusion générale du rapport : qu’on leur foute la paix, aux caribous, que leurs territoires de survie soient minimalement protégés contre les interventions industrielles.

L’opinion publique demeurant largement favorable à cette proposition, le gouvernement a dégainé son arme exclusive à lui tout seul : gagner du temps. Laisser les coupes se poursuivre sur les territoires visés. Reporter indéfiniment les projets de protection en multipliant études et consultations publiques bidon, évitant bien entendu de discuter avec ces écologistes régionaux qui voient en la forêt autre chose qu’un réservoir de mètres cubes de bois à vendre à perte et qui militent pour léguer à nos enfants une part de l’héritage écologique dilapidé sans retenue et par nous et par nos aînés.

À part l’industrie forestière et quelques maires du Saguenay–Lac-Saint-Jean, à peu près personne ne souhaite l’extinction du caribou forestier. En recherche désespérée d’appuis et de crédibilité, le ministre Pierre Dufour crée, en 2022, une énième commission, « indépendante » celle-là. Mais il en désignera lui-même les membres. Pas de chance, la commission en arrive à la même conclusion : qu’on leur foute la paix, aux caribous, que leurs territoires de survie soient minimalement protégés contre les interventions industrielles.

Les gens sont gentils. Ils accordent facilement la chance au coureur. Ainsi, ils diront : « On coupe beaucoup… mais on replante ! » Le problème, c’est qu’on ne connaît même pas le véritable résultat de nos plantations entreprises il y a une cinquantaine d’années dans les coupes à blanc. D’abord, on a planté que des arbres résineux inflammables, les épinettes. On n’a pas réintroduit les nids d’oiseaux, le lichen et son caribou, la buse à queue rousse, les plantes rares, les grenouilles, on a bouleversé les sols, toute la biodiversité existante en somme, celle qui emprisonne beaucoup mieux les gaz à effet de serre que les étendues quasi désertiques que l’on voit partout. Et sans recours à une taxation carbone…

D’innombrables lois existent pour protéger les espèces menacées, pour assurer un équilibre entre la conservation et l’exploitation du trésor naturel. L’ennui : ceux qui les écrivent, ces lois, sont aussi les juges de leur application.

Dans le cas du caribou forestier, c’est consciemment et volontairement que les autorités ont provoqué et provoquent toujours son éventuelle disparition. Bref, un écocide. Un crime, donc. Si un tribunal international pouvait statuer sur ce scandale, les politiciens québécois qui l’ont induit iraient en prison. Et pourquoi pas, comme témoin principal, l’ancien premier ministre Philippe Couillard qui, candidement, a révélé le fond de la pensée gouvernementale sur le sujet : je ne sacrifierai pas une seule job dans la forêt pour les caribous.

Ne soyons plus gentils. Aucune harde de caribous ne doit disparaître. Il faut s’unir tout de suite pour protéger les plus menacées : Pipmuacan, Charlevoix, Gaspésie, Péribonka et bien sûr celle de Val-d’Or.

Face au comportement illégitime – voire illégal – des responsables de nos forêts, l’Action boréale souhaite l’émergence d’une solide résistance citoyenne et la tenue d’actions terrain dignes d’une réelle guérilla forestière. Nous encouragerons toute initiative pacifique visant à mettre des bâtons dans les roues de ces écocidaires.

Qu’on leur foute la paix, aux caribous, que leurs territoires de survie soient minimalement protégés contre les interventions industrielles.

*Au moment où ces mots sont écrits, d’immenses incendies de forêt accablent la forêt boréale. Nous craignons que l’industrie forestière et le gouvernement en profitent pour suspendre et/ou abolir les projets en cours de protection du territoire.

1. Forteresse de technocrates qui attribuent le bois depuis leurs écrans cathodiques. Elle est aujourd’hui dirigée par l’homme de l’ombre, Alain Sénéchal.

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