Les feux qui affectent présentement une portion importante du territoire forestier sont inédits dans l’histoire récente du Québec. Pourtant, la forêt subit d’importantes perturbations depuis plusieurs années, comme en témoigne le récent verglas d’avril 2023, les tempêtes de vent importantes (derechos) de mai 2022 et les épidémies d’insectes et maladies exotiques qui tuent la majorité de nos ormes, frênes et hêtres.

Ces évènements atypiques de plus en plus fréquents sont directement liés aux changements climatiques et à l’augmentation des échanges commerciaux permettant l’arrivée de nouveaux insectes et maladies.

Avec ces changements globaux, l’intensité et la fréquence des perturbations sont déjà en augmentation, et cette augmentation est appelée à s’accélérer au cours des 50 à 100 prochaines années. Le premier ministre du Québec admettait d’ailleurs récemment qu’il faudrait investir davantage pour s’adapter aux conséquences des changements climatiques sur les feux de forêt. Il faut évidemment en faire plus pour combattre les feux de forêt lorsqu’ils se produisent, mais il faut aussi et surtout agir plus largement sur la vulnérabilité de nos forêts et ainsi mieux les préparer au spectre de menaces possibles au cours du prochain siècle.

Afin d’adopter une vision durable et résiliente pour les forêts malgré le contexte de plus en plus menaçant, nous proposons une nouvelle stratégie d’aménagement forestier pour le Québec. Dans cette ère d’incertitude croissante, il est temps de revoir nos façons de gérer les forêts et de remettre en question nos approches visant à ne favoriser que quelques essences commerciales vedettes afin d’assurer un approvisionnement stable en bois d’essences forestières pour les 150 prochaines années.

Puisque les conditions environnementales et économiques sont de plus en plus incertaines et changeantes, cette approche n’est plus efficace.

Certains diront qu’il faut laisser la forêt en paix pour qu’elle puisse s’adapter par elle-même. Considérant la vitesse des changements climatiques anticipés, la faible capacité de dispersion des graines de la majorité de nos essences forestières et le nombre croissant d’insectes et de maladies indigènes et exotiques qui les menacent, une grande partie des forêts risque toutefois de ne pas avoir le temps ou la capacité de s’adapter naturellement.

Devant cet avenir de plus en plus incertain et l’évolution constante et imprévisible de nos besoins en bois, l’aménagement forestier ne devrait plus avoir comme objectif de ne régénérer et produire que quelques essences en fonction de nos besoins actuels. Il devient désormais impératif que nos interventions forestières intègrent une vision d’adaptation et de résilience face aux feux et autres perturbations qui menacent nos forêts.

« D’adaptation et de résilience »

Cette nouvelle approche de gestion forestière dite « d’adaptation et de résilience » doit passer par une modification de la réglementation encadrant leur gestion au Québec : la coupe et l’aménagement forestier devraient prioritairement être utilisés pour maximiser la diversité des espèces selon leur capacité à résister et répondre favorablement aux différentes perturbations, suivant le principe de diversification fonctionnelle, sans trop se soucier de l’utilisation commerciale de ces espèces lorsqu’elles deviendront matures dans 50 à 100 ans. Suivant le même principe que la diversification d’un portefeuille financier, une telle approche pour nos forêts réduirait les risques liés aux perturbations et assurerait une meilleure résilience et stabilité du patrimoine forestier.

Cette diversification devrait se faire en fonction des principales perturbations anticipées pour les différentes régions du Québec pour les 50 à 100 prochaines années et cibler des zones particulièrement vulnérables.

Dans certains cas, cela impliquerait de planter des essences plus au nord de leur aire de répartition actuelle, là où les conditions climatiques actuelles et futures sont propices à leur établissement, afin d’aider à la migration des essences d’arbres et ainsi de suivre les changements climatiques anticipés.

Une telle diversification de nos forêts pourrait aussi se faire dans le cadre de la stratégie d’intensification de l’aménagement des forêts. Toutefois, au lieu de ne favoriser que des plantations d’une seule espèce « vedette » comme l’épinette blanche, l’épinette noire ou le pin gris en forêt boréale, on favoriserait plutôt des plantations mixtes d’espèces ayant des fonctions différentes et complémentaires souvent manquantes ou sous-représentées dans la région et qui augmenteraient la capacité d’adaptation et la résilience de nos forêts.

Dans les régions sensibles au feu, on favoriserait l’établissement de peuplements mixtes qui incluraient des essences bien adaptées au feu comme les pins gris et rouge et le peuplier, en plus d’y maintenir une certaine proportion d’épinette noire, de sapin et de bouleau blanc bien adaptés à d’autres types de perturbations. Dans la portion plus au sud de la forêt boréale, on pourrait aussi évaluer la possibilité d’accélérer la migration naturelle de nouvelles essences comme le chêne rouge, bien adapté au feu, ou encore l’érable à sucre. La présence accrue d’essences feuillues aurait en plus l’avantage de réduire les risques d’incendie et d’en réduire la propagation.

Alors pourquoi pas un plan « Marshall » pour la forêt québécoise pour accélérer son adaptation et augmenter sa résilience aux changements globaux ? En intégrant de telles approches dans l’aménagement des forêts, on s’assurerait, collectivement, de réduire la vulnérabilité de nos forêts face aux feux et autres menaces croissantes dont nous sommes le plus souvent la cause.

* Cosignataires : Kevin Solarik, directeur de la recherche forestière, Canada et Nord-Est/Centre-Nord des États-Unis chez National Council for Air and Stream Improvement (NCASI) ; Olivier Villemaire-Côté, ingénieur forestier et professionnel de recherche à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) ; Fanny Maure, biologiste, professionnelle de recherche à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et directrice scientifique chez Habitat

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