Si vous êtes d’un naturel colérique, vous ne devriez pas lire le récent rapport du Vérificateur général sur le personnel enseignant. Vous pourriez faire de l’hypertension.

Un chiffre en particulier a retenu l’attention lors de sa publication : il y a quelque 30 000 enseignants non légalement qualifiés au Québec. Sur un total de 111 000. On parle donc de plus du quart.

Il n’est pas anormal de se retrouver avec des enseignants non légalement qualifiés au sein du réseau, mais dans de telles proportions, c’est préoccupant.

Tant la vérificatrice générale que des experts du milieu de l’éducation l’ont souligné au cours des derniers jours.

La qualité de l’enseignement va être affectée et, par conséquent, des retards d’apprentissage sont à prévoir.

Il y a aussi, forcément, un impact sur le travail des enseignants qualifiés, qui est appelé à s’alourdir. Ce sont souvent eux qui vont devoir donner un coup de pouce aux enseignants non qualifiés.

La situation est intenable.

Mais rien de tout ça n’est entièrement nouveau.

Le nombre effarant d’enseignants non légalement qualifiés avait été dévoilé – plus discrètement, c’est vrai – il y a deux ans grâce à une recherche de Geneviève Sirois et Valérie Harnois, de l’Université TÉLUQ.

C’est justement ça qui est choquant : le ministère de l’Éducation, malgré les alarmes qui retentissaient à gauche et à droite depuis le début des années 2000 au sujet de la pénurie d’enseignants, n’a jamais pris le problème au sérieux.

Il n’a jamais mis de l’avant de plan d’action cohérent pour prévenir la pénurie ou, plus tard, pour y remédier.

Ce qui choque encore plus, c’est que le Ministère n’a jamais cru bon de se doter des données nécessaires pour comprendre les enjeux liés à ce phénomène.

La liste, dressée par le Vérificateur général, est longue. Par exemple, le Ministère ne connaît pas avec précision :

• le nombre d’enseignants actifs non légalement qualifiés et leur profil scolaire ;

• le nombre total de postes déjà pourvus et à pourvoir ;

• le nombre moyen d’élèves par classe ;

• les prévisions du nombre de postes d’enseignants à pourvoir dans l’avenir ;

• les taux de rétention, de roulement et d’absentéisme ;

• les départs à la retraite ;

• les démissions et les raisons de celles-ci.

Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.

Le problème en est aussi un, bien sûr, de leadership.

On ne peut pas vraiment en vouloir aux centres de services scolaires pour la surabondance d’enseignants non qualifiés à travers le réseau. Les postes à pourvoir sont beaucoup trop nombreux pour le nombre d’enseignants qualifiés intéressés à s’en emparer.

Dans ce dossier, c’est Québec qui doit être montré du doigt.

Le premier à avoir occupé le poste de ministre de l’Éducation du gouvernement Legault, Jean-François Roberge, avait présidé à une augmentation de la rémunération des enseignants dans le but d’avoir un impact positif sur l’attraction et la rétention. Le salaire d’un enseignant au dernier échelon est désormais proche de la moyenne canadienne. Le salaire versé à l’entrée dans la profession a aussi grimpé.

Le ministre avait aussi commencé à aborder le sujet des conditions de travail, le deuxième aspect à revoir de toute urgence pour revaloriser la profession. Entre autres en formant un comité sur la composition de la classe, qui a remis ses recommandations il y a trois mois.

Son successeur, Bernard Drainville, doit s’empresser de poursuivre ce travail, qui ne fait que commencer.

L’idée d’ajouter des « aides à la classe » (des éducatrices du service de garde qui donnent un coup de pouce aux enseignants) est bienvenue, mais c’est loin d’être suffisant.

On ne peut pas non plus reprocher au ministre de vouloir lancer un nouvel appel aux enseignants retraités, mais ce n’est pas comme ça qu’on va régler le problème.

Non. Ce que Bernard Drainville doit faire, c’est s’engager, le plus rapidement possible, à trouver des façons d’alléger le travail des enseignants pour revaloriser la profession et, d’ici quelques années, mettre un frein à la pénurie. À commencer par une révision de la composition des classes, notamment pour mieux s’adapter au nombre d’élèves qui ont des difficultés d’apprentissage.

C’est peut-être son défi le plus complexe à relever, mais c’est aussi le plus important. Le succès de son mandat en dépend.

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