Vaut mieux la pire des ententes que le meilleur des procès.

On vient d’avoir une autre preuve de la justesse de cet adage bien connu dans le milieu judiciaire.

Vendredi, la Cour du Québec et le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, ont réglé à l’amiable leur litige sur l’horaire de travail des juges. Québec contestait devant les tribunaux la décision de la Cour du Québec de faire siéger ses juges en chambre criminelle et pénale moins souvent. On risquait ainsi d’avoir des procès avortés en raison des délais trop longs (l’arrêt Jordan).

La Cour du Québec et le gouvernement Legault ont fait ce qu’on conseille fortement à la grande majorité des justiciables qui se retrouvent devant les tribunaux : un compromis1.

Les juges de la Cour du Québec avaient décidé de passer de 139 à 104 jours siégés par an (ils délibèrent et font de la gestion de causes le reste du temps) en raison de la complexité des causes et des jugements à rendre. Pour compenser les jours siégés perdus, la Cour du Québec calculait que Québec devait nommer 41 nouveaux juges.

Finalement, tout le monde a mis de l’eau dans son vin : les juges siégeront 121 jours par an jusqu’en 2025. Québec nommera 14 nouveaux juges (d’ici septembre, espère-t-on), et le reste des jours siégés perdus doit être comblé par une gestion plus efficace des dossiers.

On est heureux que cette triste saga prenne fin.

L’indépendance judiciaire est un principe cardinal de notre État de droit, qu’il faut défendre avec vigueur. C’est à la Cour du Québec, et à elle seule, à décider de l’horaire de travail de ses juges. Elle avait le droit de procéder à sa réforme.

Mais avec égard pour la Cour, on n’est pas convaincu qu’une telle réforme était justifiée. Pour 2022-2023, la Cour du Québec fonctionnait d’ailleurs sur un horaire de 115-120 jours siégés par an (et non 104), nous a-t-on confirmé lundi.

Vaut mieux la pire des ententes que le meilleur des procès, donc. Et l’entente conclue vendredi n’est pas épouvantable. Elle est même intéressante.

Québec et la Cour du Québec se donnent trois objectifs non contraignants (indépendance judiciaire oblige). On veut réduire de 300 à 212 jours le délai médian pour la fermeture des causes, faire passer le taux de fermeture des dossiers de 0,91 à 1,10 (on fermera plus de dossiers qu’on en ouvrira), et hausser de 79 % à 88 % le ratio de causes qui respectent les plafonds de l’arrêt Jordan (une cause peut excéder le délai sans tomber à l’eau). Québec aura désormais des statistiques fiables pour évaluer ces trois objectifs, ce que demande la Cour du Québec depuis 2014.

Ne nous mettons pas la tête dans le sable : cette entente ne réglera pas tous les problèmes de notre système de justice criminelle. Elle est l’équivalent d’un diachylon sur une plaie ouverte.

La justice criminelle est un monstre à cinq têtes. Le ministère de la Justice du Québec finance le système, les tribunaux administrent la justice, le Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec ou la Couronne fédérale dépose les accusations, les avocats de la défense représentent les accusés, et le législateur fédéral écrit le Code criminel (qui comprend les procédures).

Aucune des cinq têtes ne peut régler seule tous les problèmes du système. Pour que ça fonctionne, tout le monde doit ramer dans la même direction et assumer ses responsabilités.

L’entente de vendredi ne réglera pas deux problèmes majeurs.

Premièrement, il faut une réforme visant à « moderniser » et « simplifier » la procédure criminelle, qui relève d’Ottawa. « On est dû pour une réflexion sur la procédure criminelle », nous dit en entrevue la juge en chef, Lucie Rondeau.

Deuxièmement, on manque de personnel de soutien, de greffiers, de greffières-audiencières, et d’agents correctionnels dans nos palais de justice. Parce qu’ils sont sous-payés par le gouvernement du Québec. Les greffières-audiencières gagnent 50 000 $ par an, beaucoup moins que les greffiers municipaux à Montréal (maximum de 69 000 $ par an) et ceux du secteur privé.

Ça fait des années que ce problème perdure, sans que le gouvernement Legault ne fasse grand-chose pour le régler. Il a accordé une prime temporaire de 10 %, mais ce n’est manifestement pas suffisant2.

C’est à Québec de régler ce problème. Et vite.

1. Lisez l’article « Horaires des magistrats : Québec et la juge en chef trouvent un “compromis” » 2. Lisez l’article « Crise “généralisée” du système judiciaire : “Y a pas de personnel !” » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion