Quand une affaire judiciaire traîne vraiment trop longtemps, l’accusé est libéré. C’est ainsi qu’on « répare » la violation du droit d’être jugé dans un « délai raisonnable », si l’État a causé ces délais.

Mais la victime ? N’a-t-elle pas un droit personnel à voir l’affaire dans laquelle elle est impliquée aboutir ? Si une affaire avorte par la faute des procureurs, peut-elle avoir une compensation ?

Joannie Verreault a été agressée de l’âge de 14 ans à l’âge de 22 ans par son beau-père. La preuve de la police, en tout cas, a convaincu le DPCP de déposer des accusations contre Michel Mercier en 2010. Six ans et trois mois plus tard, un juge a décrété l’arrêt du processus judiciaire.

Pour la jeune femme, maintenant âgée de 36 ans, c’était un autre traumatisme. Elle poursuit l’État québécois pour obtenir compensation. La juge Claudia Prémont, de la Cour supérieure, a entendu ses arguments et ceux du Procureur général la semaine dernière et doit trancher d’ici quelques mois.

On a vu dans le passé des poursuites de personnes injustement arrêtées ou mal traitées par la police. Mais les cas de poursuites de victimes d’acte criminel flouées par le système sont rares.

TVA a rapporté il y a quelques années une rare affaire pré-Jordan où le DPCP avait accepté de dédommager une victime de violence conjugale dont le procès n’avait pas pu avoir lieu.

On est en territoire peu exploré pour une raison simple : un procès criminel n’est pas celui de la victime contre l’accusé, mais de l’État contre un accusé.

Quand un crime résolu par la police n’est pas jugé, toute la société subit un préjudice. Mais la victime de ce crime s’en trouve personnellement meurtrie, flouée par l’institution judiciaire.

Est-ce que ça donne ouverture à un droit ? Et si oui, combien ça vaut ?

Zéro, avait répondu la juge Catherine La Rosa en 2018, en rejetant la poursuite de membres de la famille d’un homme assassiné. L’incompétence des policiers avait mené à la libération de la femme accusée d’avoir tué leur père.

Armande Côté, de la région de Sorel, avait en effet obtenu l’arrêt du processus judiciaire. Les policiers de la Sûreté du Québec avaient obtenu des aveux illégalement et fouillé sa maison sans mandat. Des fautes « grossières », avait tranché la cour : toute la preuve était irrecevable.

Pour les membres de la famille de la victime, cette absence de procès était une re-victimisation, en plus de leur faire perdre confiance en la justice.

La juge La Rosa a rejeté la poursuite. Même si les policiers avaient bien travaillé, rien ne garantissait un verdict de culpabilité. Un acquittement aurait produit autant de détresse dans la famille, selon elle. Il n’y a donc pas de lien direct entre les fautes (bien réelles) des policiers et la souffrance (tout aussi réelle) éprouvée par la famille pour cause d’arrêt du processus judiciaire.

Joannie Verreault a subi « l’épreuve » du procès, puisqu’elle a dû témoigner, sans jamais connaître le verdict. Mercier aurait fort probablement été condamné, selon elle. Mais de toute manière, l’absence de conclusion judiciaire est pour elle, en soi, un préjudice.

L’accusé a un droit constitutionnel à un procès dans un délai raisonnable. La victime est cependant elle aussi affectée par la durée d’une affaire.

Il s’agit ici bien plus que de la déception devant un verdict. Si le juge a décrété l’arrêt du processus judiciaire, c’est qu’il était devant un cas injustifiable de dépassement des délais. C’est le constat officiel par une cour du manquement de l’État envers l’accusé… mais aussi envers la société. Et encore plus envers celle qui a dénoncé le crime.

Le Procureur général ne reconnaît aucune faute des procureurs : c’est un juge qui est arrivé à ces calculs de délais dans un contexte très particulier. Le but du système de justice pénale, par ailleurs, n’est pas de « réparer les préjudices » individuels, mais de juger des individus pour des crimes, ce qui n’est pas la même chose. C’est l’État qui poursuit au nom de toute la population, pas d’une victime qui poursuit son agresseur.

Ajoutons à cela que les procureurs jouissent d’une immunité, qui ne peut être levée qu’en cas de faute lourde ou de gestes malhonnêtes.

La pente est raide, donc.

Mais quoi qu’il advienne de cette affaire, on reste avec ce constat : quand ceux qui représentent l’État commettent des erreurs suffisamment importantes pour faire dérailler un procès, leur responsabilité se dilue instantanément. Elle se dissout dans cette grande machine institutionnelle qui nettoie tout ce qui paraissait sale.