Il y a 43 ans, Hassan Diab a chargé dix kilos de pentrite sur une moto qu’il a garée devant une synagogue de la rue Copernic, au cœur de Paris.

C’est lui qui a posé la bombe. Lui, le responsable du carnage. Quatre vies fauchées. Tant d’autres, brisées : 46 hommes, femmes et enfants blessés, défigurés, traumatisés à jamais.

Hassan Diab n’était pas le chef du commando. Il était le poseur de bombe. L’exécutant de cet attentat qui a fait trembler la France, le 3 octobre 1980. C’était la première fois qu’un attentat visait la communauté juive de ce pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

La justice a donc tranché : Hassan Diab est coupable. Cinq magistrats français l’ont condamné vendredi à la réclusion à perpétuité, au terme d’un procès mené en son absence.

Si le box de l’accusé était vide, c’est que le terroriste vit parmi nous. Bien au chaud, dans le plus-meilleur-pays-du-monde.

À Ottawa, il est protégé et défendu depuis des années par un puissant comité de soutien qui le présente comme un Dreyfus canadien, victime d’une terrible injustice, de l’incompétence et de la fourberie des autorités judiciaires françaises.

Tous ceux qui ont cru à cette fable kafkaïenne – et ils sont nombreux – ne seront évidemment pas convaincus par le verdict des juges français. Ils crieront au procès truqué, comme si la France était une vulgaire république bananière.

Ils refuseront de voir que le Dreyfus canadien a du sang sur les mains.

C’est déjà commencé. À Ottawa, Hassan Diab, 69 ans, s’est plaint de la « situation kafkaïenne » dans laquelle il se trouve. « Nous espérions que la raison prévaudrait », a-t-il soupiré. Son avocat, Donald Bayne, a dénoncé un « résultat politique », une « condamnation injustifiée ».

Un résultat politique ? Aux dernières nouvelles, la France n’est pas la Russie. Elle reste une démocratie respectant le principe de la séparation des pouvoirs.

Alors, pourquoi les soutiens d’Hassan Diab, dont Amnistie internationale, traitent-ils la France comme s’ils avaient affaire à une sombre dictature ?

Avant le début du procès, Amnistie internationale avait exhorté le procureur de la République à abandonner les accusations « infondées » contre le Libano-Canadien. L’organisme avait dénoncé un procès « inique » qui risquait de « déboucher sur une nouvelle parodie de justice », rien de moins.

La justice française n’a pourtant pas choisi un bouc émissaire au hasard. Elle ne s’est pas levée un matin en se disant : tiens, pour l’attentat de la rue Copernic, pourquoi ne pas accuser un Canadien lambda ? Pourquoi pas ce prof de sociologie de l’Université de Carleton ?

Non, les enquêteurs français ont plutôt retourné chaque pierre pour retrouver le poseur de bombe. Ils ont remonté la piste lentement, patiemment.

Au bout, il y avait Hassan Diab.

Au cours des derniers jours, les enquêteurs qui ont fouillé le dossier se sont succédé à la barre pour affirmer leurs certitudes : Hassan Diab était bel et bien le terroriste que la France recherchait depuis 43 ans. Il n’y avait pas de doute possible. Pas d’erreur sur la personne.

Le dossier d’accusation s’appuyait essentiellement sur des renseignements. Les preuves étaient circonstancielles : un passeport portant un tampon d’entrée et de sortie en Europe, un portrait-robot, des expertises graphologiques, le témoignage d’un ancien militant du Front populaire de libération de la Palestine – Opérations spéciales (FPLP-OP)…

Aucun de ces éléments n’aurait suffi, à lui seul, à établir la culpabilité d’Hassan Diab. Réunis, toutefois, ils pointaient tous dans la même direction. Vers ce prof de socio menant une petite vie sans histoire, à Ottawa.

Cette petite vie tranquille, Hassan Diab la mène toujours, malgré le mandat d’arrêt lancé par la justice française. Et tout porte à croire qu’il la mènera encore longtemps.

Vendredi, Justin Trudeau n’a pas voulu dire comment le Canada répondra à une inévitable demande d’extradition de la France. Il a assuré prendre « très au sérieux l’importance de protéger les citoyens canadiens et de respecter tous leurs droits ».

Le premier ministre semble tiède à l’idée de faire preuve de fermeté à l’égard d’un homme dont plusieurs organismes et médias canadiens clament passionnément l’innocence.

On ne vous en voudra pas de percevoir le cas Hassan Diab différemment, selon que vous lisez la presse française ou la presse canadienne-anglaise.

L’opiniâtreté des enquêteurs, en France, devient de la persécution au Canada. La vérité, là-bas, se transforme en vindicte, de ce côté-ci de l’Atlantique.

On a l’impression de se trouver devant deux affaires distinctes. Écoutez CBC, et vous vous émouvrez de cette cruelle injustice1. Vous pleurerez pour ce père de famille ordinaire, poursuivi sans relâche par des enquêteurs prêts à tout pour trouver un coupable, peu importe lequel.

Lisez la presse française, maintenant, et vous vous indignerez qu’un terroriste puisse échapper à la justice depuis 43 longues années. Les approximations et les contradictions dans la défense d’Hassan Diab – surtout en ce qui concerne cette rocambolesque histoire de passeport prétendument perdu juste avant l’attentat – vous convaincront probablement de sa culpabilité2.

Au-delà des perceptions, il y a les faits.

Des faits démontrés devant la Cour d’assises de Paris. Soupçonné depuis des décennies, Hassan Diab a enfin été reconnu coupable, au terme de l’une des plus longues enquêtes judiciaires menées en France.

Au nom de ses victimes et de leurs proches, de moins en moins nombreux à mesure que les années passent, le Canada doit maintenant l’extrader.

1. Regardez le reportage de CBC 2. Lisez la chronique « Affaire Diab: je n’accuse pas »