Le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, et la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, enterrent la hache de guerre au sujet de la réforme de l’horaire des juges. Québec crée 14 nouveaux postes à la magistrature, alors que la Cour du Québec s’engage à siéger davantage et à respecter certaines cibles.

Un « compromis ». Ce mot revient à quatre reprises dans le premier paragraphe de l’entente rendue publique vendredi après-midi. Cette entente en vigueur jusqu’en décembre 2025 est le fruit de quatre mois de négociations menées par l’ex-juge Jacques Chamberland, nommé facilitateur par les parties en janvier dernier. Essentiellement, les deux camps ont coupé la poire en deux pour dénouer l’impasse.

Il faut dire que pendant des mois, les positions du gouvernement Legault et de la Cour du Québec étaient aux antipodes dans ce conflit houleux, et très public, entre le ministre de la Justice et la juge en chef Lucie Rondeau. Le ministre Jolin-Barrette se battait même devant la Cour d’appel pour faire infirmer la décision de la juge en chef.

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Lucie Rondeau, juge en chef de la Cour du Québec

Le ministre craignait que la réforme Rondeau entraîne une « avalanche » de milliers d’arrêts du processus judiciaire en raison de délais déraisonnables. De nombreux acteurs du système judiciaire avaient d’ailleurs lancé l’alarme dans les derniers mois. Même le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) se préparait à prioriser certains dossiers au détriment des autres.

Les personnes victimes et les citoyens. Ce sont eux que j’avais en tête tout au long des discussions. L’entente conclue aujourd’hui nous permet de réaliser des gains concrets dans leur intérêt, de réduire les délais judiciaires et surtout de retirer une grande pression sur le système de justice.

Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice

« Nous avons une responsabilité commune d’offrir aux citoyens des services de justice accessibles, rapides et humains. Nous remercions par ailleurs M. Chamberland pour son travail dans le dossier », a ajouté le ministre.

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Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice du Québec

Au cœur du conflit : la « réorganisation » de l’horaire de travail des juges instaurée par la Cour du Québec, sans consulter le gouvernement. Concrètement, depuis septembre 2022, les juges de la chambre criminelle et pénale entendent moins de causes en salle d’audience pour avoir plus de temps pour délibérer. Les juges siègent un jour sur deux (ratio 1/1), alors qu’ils siégeaient auparavant deux jours et délibéraient la troisième journée (ratio 2/1).

Pour compenser la perte de milliers de jours d’audition par année, la juge en chef Lucie Rondeau réclamait l’ajout de 41 juges, ce que Québec refusait fermement. Mais dans le cadre de ce « compromis », Québec jette du lest et s’engage à nommer dès cette année 14 nouveaux juges à la chambre criminelle et pénale.

En contrepartie, les juges de la chambre criminelle et pénale devront siéger 17 jours de plus par année judiciaire. Les magistrats siégeaient 104 jours depuis septembre 2022, alors qu’ils étaient auparavant sur le banc 139 jours par année. Dorénavant, ils siégeront 121 jours par année. Le nouveau ratio de jours siégés se situe donc entre 1/1 et 2/1.

De nouvelles cibles

Pour mettre fin au conflit, la Cour du Québec fait d’autres concessions. En effet, la magistrature s’engage à atteindre trois cibles inédites à la fin de l’entente, dont celle de faire diminuer conséquemment le délai médian pour la fermeture des causes. En ce moment, une cause criminelle s’étire pendant environ 300 jours, soit 50 % de plus qu’en 2018-2019. En vertu de l’entente, ce délai doit passer à 212 jours.

La magistrature et le ministère de la Justice souhaitent aussi faire passer de 0,91 à 1,10 le « taux de fermeture » des dossiers. En pratique, ça signifie qu’au terme de l’entente, il devra y avoir plus de dossiers criminels qui se termineront que de dossiers qui seront ouverts.

Dernière cible : 87,7 % des causes criminelles devront se terminer, à terme, à l’intérieur des plafonds de 18 ou 30 mois mis en place par la Cour suprême dans l’arrêt Jordan sur les délais raisonnables. Le ratio stagne en ce moment à 79,4 %, ce qui laisse présager de nombreux arrêts des procédures. Cela dit, une affaire criminelle peut dépasser le délai prescrit sans tomber à l’eau.

Un suivi trimestriel sera effectué par Québec et la Cour du Québec pour évaluer l’impact des mesures et la progression des cibles. Entretemps, Québec compte s’assurer que des statistiques fiables soient disponibles sur de nombreux indicateurs clés. Ainsi, tout écart « significatif » par rapport aux objectifs sera souligné.

Le Barreau et le DPCP satisfaits

Le Barreau du Québec se « réjouit » de la conclusion de cette entente. « Nous saluons l’engagement des parties en faveur d’une plus grande efficience de la justice. Plus particulièrement, l’adoption d’indicateurs de performance concrets et mesurables concernant les délais judiciaires représente une mesure historique, qui profitera assurément à l’ensemble des citoyens québécois », a souligné la bâtonnière du Québec, MCatherine Claveau, dans un courriel à La Presse.

Même son de cloche du côté du Directeur des poursuites criminelles et pénales, pour qui l’accord « favorisera le respect des délais judiciaires prescrits par la Cour suprême dans l’arrêt Jordan, ce qui est de nature à rassurer les victimes qui espèrent un dénouement à leur dossier ». « Le DPCP assure sa collaboration à la mise en œuvre de solutions durables à la problématique des délais judiciaires au bénéfice des victimes, des accusés et de l’ensemble de la société », a indiqué la porte-parole MAudrey Roy-Cloutier, dans un courriel à La Presse.

Il faudra voir dans les prochains mois l’impact de cette entente sur le terrain. Ce printemps, au palais de justice de Montréal, les délais pour fixer un procès de quelques jours se situaient encore autour de 14 mois, voire davantage, à la Cour du Québec. De tels délais risquent de mener à des arrêts des procédures, puisque l’arrêt Jordan met un plafond de 18 mois à la plupart des causes.

En savoir plus
  • 9000
    Nombre de causes criminelles qui étaient en péril précisément en raison de la réorganisation de l’horaire des juges
    SOURCE : ministère de la Justice
  • 9000
    Nombre de causes criminelles qui étaient en péril en raison de la réorganisation de l’horaire des juges
    SOURCE : ministère de la Justice