L’ancien premier ministre Brian Mulroney avait coutume de dire qu’en politique, il est important d’avoir des amis, mais qu’il était encore plus important d’avoir des ennemis. Alors, quand on entend le chef conservateur Pierre Poilievre dénoncer la CBC, on doit savoir qu’il se cherche un ennemi.

Et avoir un ennemi commun, c’est encore le meilleur moyen de mobiliser sa base, les électeurs dont on doit avoir l’appui si on veut gagner.

La mobilisation de la base est importante à cause de deux phénomènes ces dernières années. D’abord, le fait que les gouvernements peuvent être minoritaires. Depuis les élections de 2000, quatre gouvernements fédéraux ont été minoritaires et quatre furent majoritaires. Les marges de victoire sont de plus en plus souvent très minces et chaque vote compte donc.

L’autre, c’est le taux de participation qui va en diminuant. Dans les élections fédérales tenues depuis l’an 2000, le taux de participation est en moyenne de 63 %. Ce qui signifie que plus d’un électeur sur trois ne va pas voter. C’est une énorme réserve d’électeurs qui peuvent être mobilisés, si on trouve les bonnes questions qui leur tiennent suffisamment à cœur.

L’objectif est donc double : s’assurer que les partisans iront bien voter et essayer de convaincre ceux qui n’aiment pas le diffuseur public que c’est une raison suffisante d’aller voter conservateur.

Il faut dire que haïr le diffuseur public est presque un sport national au Parti conservateur, au moins dans le reste du Canada. Cela dit, ça fait longtemps que l’on considère qu’il s’agit d’un nid de gauchistes ou, au moins, de sympathies libérales. On ne perdra pas beaucoup de voix en promettant de « définancer » la CBC, mais on pourrait sans doute en gagner.

Au Québec, c’est assez différent. D’où le fait que la promesse de M. Poilievre ne s’appliquerait qu’au Canada anglais, ce qui conduit à une situation un peu surréaliste où le chef conservateur parle soit de RDI, soit d’ICI Première comme un service essentiel pour les francophones. Cela dit, on attend avec impatience le premier député conservateur québécois qui prendra la parole pour appuyer son chef sur tout ce dossier.

Ce sera un exercice d’équilibriste, entre autres parce que cela causerait un problème de nature juridique puisque CBC/Radio-Canada est, de par la loi, une seule et même entité avec un seul conseil d’administration et une même présidente-directrice générale. Mais M. Poilievre ne s’embarrasse pas de tels détails pour le moment.

Mais ce qui est le plus inquiétant dans tout cela, c’est le glissement évident du Parti conservateur contre les médias traditionnels et en faveur de médias plus marginaux, qui disent à la base conservatrice exactement ce qu’elle veut entendre.

Dans son discours d’adieu comme chef conservateur, Andrew Scheer disait à ses troupes qu’elles devaient « remettre en question les affirmations des médias traditionnels et de gauche ». Et il ajoutait qu’ils devraient plutôt consulter des « organisations intelligentes, indépendantes et objectives » comme Post Millennial ou True North.

Le premier est un site web de la droite américaine, le second était l’une des voix du convoi des camionneurs et il combat indistinctement la gauche, qu’elle soit au NPD ou au Parti libéral.

Mais les deux sont des chambres d’écho. Des lieux où les militants les plus conservateurs pourront se faire conforter dans leurs positions, si dures soient-elles. Ce sont des sites qui se disent de nouvelles, mais qui ont pour effet de polariser le débat public.

Évidemment, il y a des sites un peu similaires de l’autre côté du spectre politique. Mais, si on est honnête, il est difficile de prétendre que CBC/Radio-Canada soit une chambre d’écho et que le diffuseur public travaille sciemment à polariser le débat public au Canada.

C’est pour cela qu’il aurait été intéressant de surveiller avec un regard venant du nord de la frontière le procès qui devait se dérouler au Delaware et qui aurait opposé Fox News et le fabricant de machines à voter Dominion Voting Systems.

La question qui se pose est de savoir si un média peut mentir sciemment – sur la question du « vol » de la dernière élection présidentielle – parce que c’est ce que son auditoire veut entendre. Les deux parties ont finalement réglé à l’amiable et avec des excuses de Fox News.

Les lois américaines protègent assez les médias s’ils peuvent prouver qu’il n’y a pas de malveillance (« absence of malice »). Des courriels personnels des animateurs de Fox devaient être amenés en preuve pour montrer qu’ils ne pensaient pas, entre autres à propos du président Trump, ce qu’ils disaient en ondes.

Cela étant, on a vu des médias – au cours des derniers jours, la radio et télé publique américaine PBS/NPR, la radio publique suédoise et CBC/Radio-Canada – qui prononcent leur propre verdict en se retirant de Twitter, estimant qu’ils n’ont quand même pas à encourager une plateforme qui les dénigre.

C’est Twitter qui est dépendant des producteurs de contenu qui l’utilisent, pas l’inverse. Ce qui devrait l’inciter à plus de retenue. Ou, au moins, à un peu de politesse.