C’est un brin ironique qu’il ait fallu une grève pour ramener les fonctionnaires fédéraux sur leurs lieux de travail, eux qui contestent la demande du gouvernement de revenir au bureau deux ou trois jours par semaine.

Sur le trottoir par un petit matin frisquet, ils revendiquent le droit au télétravail et militent pour des augmentations de salaire pour le moins ambitieuses. L’un d’eux a écrit sur sa pancarte : « Des employés à rabais, c’est non ! »

Même si on comprend que l’inflation gruge leur pouvoir d’achat, on a envie de répondre : « Pousse, mais pousse égal », pour reprendre le titre d’un film comique des années 1970.

Mais ici, il n’y a pas de quoi rire.

Les Canadiens sont à bout de patience à cause de la piètre qualité des services. Camping au bureau des passeports, retards monstres à l’immigration, erreurs de la part du fisc… Et maintenant on leur dit que le traitement des déclarations de revenus est sur pause, en pleine saison des impôts ! On entend presque les jurons dans les chaumières.

Pendant ce temps-là, les employés de l’ARC réclament des augmentations de plus de 30 % sur trois ans. Ouf !

Les fonctionnaires fédéraux doivent réaliser qu’ils ne sont pas les seuls à subir l’inflation qui a atteint 6,8 % en 2022, avant de redescendre à 4,3 % le mois dernier. Tout le monde y goûte, y compris les travailleurs du secteur privé qui sont loin d’avoir des conditions de travail aussi roses.

Non seulement les fonctionnaires ont un salaire plus élevé, mais ils ont aussi une foule d’avantages, comme le détaille une étude de l’Institut Fraser. 1

Au Québec, 95 % des employés des gouvernements (tous paliers confondus) ont un régime de retraite, alors que moins du quart des travailleurs du privé en ont un. Et dans la moitié des cas, ce régime ne leur garantit pas une rente jusqu’à la fin de leurs jours comme du côté public.

Ce n’est pas pour rien que les fonctionnaires prennent leur retraite 2,8 ans plus tôt que les employés du privé.

La sécurité d’emploi est un autre avantage indéniable de la fonction publique. En 2021, en pleine pandémie, seulement 0,7 % des fonctionnaires ont perdu leur poste, contre 4,2 % des travailleurs du privé. Une paix d’esprit qui vaut cher.

Quand on met tous les ingrédients dans la balance, il est clair que les fonctionnaires fédéraux ne sont pas « des employés à rabais ». Bien au contraire.

Pour en avoir la preuve, nous avons comparé la rémunération globale des catégories d’emploi comptant le plus de travailleurs fédéraux au Québec. Résultat ? Pour 14 catégories sur 18, le fédéral est plus généreux que le privé. L’écart de rémunération est considérable pour certains emplois comme les vérificateurs et les comptables (+ 54 %), les techniciens juridiques (+ 38 %) ou encore les agents aux achats (+ 36 %).

Le gouvernement Trudeau doit donc garder les cordons de la bourse serrés, par équité envers les employés du privé qui finiront par payer la note à travers leurs impôts.

Aimable rappel au gouvernement Trudeau : Ottawa n’a pas des moyens illimités. D’autant que l’inflation est en train de nous revenir en plein visage, comme un boomerang.

Cette inflation a d’abord gonflé les revenus de l’État qui s’est permis d’annoncer une flopée de nouvelles dépenses dans son dernier budget. Des dépenses qui ont fait doubler les déficits cumulatifs des cinq prochaines années, à 132 milliards de dollars. Or, cette même inflation risque maintenant de nous coûter cher, alors que les taux d’intérêt augmentent et que les fonctionnaires réclament un rattrapage salarial.

Mais justement, une hausse substantielle des salaires pourrait créer une spirale inflationniste malsaine qui compliquerait encore davantage le travail de la Banque du Canada.

Les libéraux se retrouvent pris en étau. D’un côté, le Parti conservateur les accusera, à juste titre, de ne pas savoir contenir les dépenses s’ils accèdent aux demandes des fonctionnaires. Mais de l’autre, le NPD ne veut rien entendre d’une loi spéciale pour forcer le retour au travail. Son chef Jagmeet Singh s’est même rendu sur les piquets de grève.

Dans un contexte où le gouvernement a peu de marge de manœuvre sur les salaires, il ne faudra pas s’étonner que le télétravail – entièrement à la discrétion de l’employeur – serve de monnaie d’échange « gratuite ».

Mais attention aux conséquences à plus long terme ! Au début de mars, le président de la Banque Royale a lancé un signal d’alarme en affirmant que le télétravail nuisait à la productivité et à l’innovation.

La grève déclenchée mercredi par les 155 000 employés de l’Alliance de la fonction publique du Canada revêt un caractère historique, tant par sa taille que par les enjeux qu’elle soulève : l’encadrement du télétravail en cette ère postpandémique et la réponse à un taux d’inflation qu’on n’avait pas vu depuis une génération.

Les négociations auront des répercussions sur l’ensemble du marché du travail, car elles serviront de point de référence pour tous les employeurs.

Il est d’autant plus important qu’Ottawa envoie un message raisonnable et raisonné.

1. Consultez l’étude de l’Institut Fraser (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion