Instaurer un prix sur la pollution a été l’une des décisions les plus importantes de Justin Trudeau depuis 2015.

Certes, le Canada est toujours un cancre sur le plan environnemental, loin derrière l’Europe. Mais avec un prix sur la pollution qui augmentera significativement au fil des ans, on se donne au moins la chance de limiter nos émissions de CO2, et de sauver (un peu) la planète.

Il y a toutefois un gros problème : la taxe carbone fédérale est menacée à long terme. Le seul parti pouvant aspirer à remplacer le gouvernement Trudeau, le Parti conservateur du Canada, veut abolir la taxe carbone. Ce serait sans doute l’une des premières décisions d’un gouvernement dirigé par Pierre Poilievre. Toute cette incertitude n’incite pas nos entreprises à planifier des projets de décarbonation à long terme. Ni les investisseurs à appuyer ces projets.

Au Québec, c’est (heureusement) le contraire : il y a un consensus autour du marché du carbone, qui tient lieu de taxe carbone. La CAQ, le PLQ, QS et le PQ s’entendent là-dessus (seul le PCQ est dissident). Les entreprises et les investisseurs peuvent donc planifier leurs investissements en décarbonation en sachant que le prix de la pollution augmentera avec les années. Peu importe qui remportera les prochaines élections.

Ce n’est pas le cas au Canada anglais.

On aimerait que les conservateurs comprennent toute l’importance de la lutte contre les changements climatiques. En attendant, Justin Trudeau veut rendre plus difficile – plus coûteux, en fait – l’abandon de la taxe carbone. Dans le budget fédéral de mardi dernier, les libéraux ont introduit des contrats d’assurance sur la taxe carbone.

Le principe est relativement simple : le fédéral garantira pour le futur le prix prévu de la taxe carbone (de 65 $ la tonne de CO2 en 2023 à 170 $ en 2030) aux grandes entreprises qui investissent maintenant pour décarboner leurs activités. Celles-ci peuvent ainsi inclure l’effet de la future taxe carbone dans leurs montages financiers pour leurs projets de décarbonation. Ça ne coûte rien aux contribuables. Et ça donne un environnement d’affaires stable, prévisible, et qui favorise la décarbonation à long terme.

Si un futur gouvernement fédéral diminue la taxe carbone ou l’abolit, Ottawa devra alors payer la différence aux entreprises sur les grands projets ayant bénéficié de cette assurance. Abolir la taxe carbone coûterait au bas mot des centaines de millions de dollars, voire des milliards.

L’objectif de ces contrats d’assurance – surnommés « l’assurance Poilievre » à l’interne chez les libéraux – est d’établir un climat d’affaires propice à la décarbonation de l’économie. Si ça pouvait faire changer d’idée les conservateurs à propos de la taxe carbone, ce serait un boni et une belle surprise.

Le Canada, le Japon et les pays de l’Union européenne ont tous une tarification sur le carbone. Les États-Unis et l’Australie n’en ont pas. Il y en a eu une en Australie de 2012 à 2014, mais le gouvernement conservateur l’a abolie (il n’y avait pas de conséquences financières). C’est ce scénario qu’on tente d’éviter au Canada avec les contrats d’assurance.

La tarification sur le carbone ne peut à elle seule sauver la planète, mais c’est l’une des principales solutions à la crise climatique.

Elle est en vigueur en Europe depuis 2005, et les Européens ont réduit davantage leurs émissions de CO2 (par rapport à 1990) que le Canada et les États-Unis.

Au Canada, la taxe carbone a été établie tardivement, en 2019. On dit « taxe carbone », mais on oublie souvent que… ce n’est pas une taxe. Ottawa établit un prix sur la pollution, prend ces revenus, et les redistribue aux citoyens (90 %) et aux villes (10 %). Les citoyens avec une faible empreinte carbone reçoivent plus d’argent au net qu’ils n’en payent. Le contraire pour les citoyens avec une forte empreinte carbone. (Ça ne s’applique pas au Québec, où le marché du carbone québécois tient lieu de tarification sur le carbone.)

On ne pourra pas relever le défi des changements climatiques sans une tarification sur le carbone. Voilà pourquoi « l’assurance Poilievre » est justifiée et nécessaire.

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En savoir plus
  • 84 milliards US
    Recettes générées par la tarification du carbone au niveau mondial en 2021. Il s’agit d’une hausse de 60 % en un an.
    Source : Banque mondiale
  • - 43 %
    Les émissions mondiales de CO2 devront être réduites de 43 % d’ici 2030 (par rapport au niveau de 2019) pour limiter la hausse de la température à 1,5 ˚C.
    Source : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
  • 6
    Nombre de pays du G7 qui ont une tarification sur le carbone à l’échelle nationale. Seuls les États-Unis n’ont pas de tarification de carbone nationale. Certains États américains, dont la Californie, ont une tarification sur le carbone.
    Source : OUR WORLD IN DATA/UNIVERSITÉ D’OXFORD