C’est vrai, l’aide additionnelle proposée par le Canada pour Haïti dans la cadre de la visite de Joe Biden à Ottawa peut sembler insuffisante.

On parle essentiellement d’un investissement de 100 millions de dollars pour fournir « un meilleur soutien » à la police nationale du pays et moderniser son équipement.

Mais cette initiative a le mérite d’être à la fois utile, bien ciblée et prudente.

Le président américain a d’ailleurs clairement fait savoir qu’il n’était « pas déçu » par ce nouvel engagement.

« Ce sont des circonstances très, très difficiles » en Haïti, a-t-il précisé.

C’est quasiment un euphémisme…

La situation sur le terrain est catastrophique depuis que les gangs y font la loi dans une quasi-impunité.

Les constats les plus récents faits par l’ONU sont accablants.

Le Programme alimentaire mondial (PAM) a indiqué jeudi dernier que désormais, c’est « près de la moitié de la population haïtienne, soit 4,9 millions de personnes », qui peine à se nourrir. C’est trois fois plus qu’en 2016.

Selon le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme, 530 personnes ont été tuées depuis janvier par les gangs. Près de 280 enlèvements ont aussi été signalés.

Tant le Canada que les États-Unis ont une obligation morale d’aider le pays à se sortir de cette nouvelle crise.

L’administration américaine a donc fait pression, en coulisses et en public, pour que le Canada prenne la tête d’une force multinationale chargée de restaurer l’ordre dans le pays.

Le problème, c’est que les désirs sont parfois contrariés par la réalité.

Et il y a fort à parier que c’est pour cette raison que Joe Biden n’a pas rechigné vendredi quant à la nouvelle proposition canadienne pour Haïti.

Les circonstances ne sont pas encore réunies pour qu’une intervention plus musclée – et à haut risque – soit un succès. On comprend donc la prudence encore affichée par le gouvernement canadien, qui n’est pas prêt à envoyer des troupes en Haïti.

PHOTO DANTE CARRER, ARCHIVES REUTERS

Le premier ministre d’Haïti, Ariel Henry, réclame une intervention étrangère pour aider son pays à se sortir de la crise actuelle.

Une prudence d’autant plus justifiable qu’elle a été cautionnée récemment par le chef d’état-major de la Défense du Canada, le général Wayne Eyre.

Ce dernier doute de la capacité du Canada à diriger une opération militaire en Haïti en raison de nos engagements à l’égard de l’OTAN et de l’Ukraine. Tant pour ce qui est du personnel que de l’équipement militaire.

Mais les obstacles les plus importants à la réussite d’une telle mission se trouvent sur le terrain, en Haïti.

À commencer par le fait que les Haïtiens eux-mêmes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, sont profondément divisés sur la question d’une intervention étrangère.

La situation politique ne permet pas non plus d’envisager une telle opération à court terme. Ariel Henry, qui est à la tête du pays depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021, réclame une telle intervention, mais il souffre d’un manque de légitimité. Par ailleurs, le processus devant mener à des élections démocratiques n’avance pas.

Il reste donc… la police haïtienne. Une rare institution qui parvient à inspirer une certaine confiance dans ce pays. La seule qui pourrait être en mesure de tenir tête aux gangs, même si elle n’est pas à l’abri de la corruption.

Depuis quelques semaines, le gouvernement canadien a dépêché une petite équipe d’experts pour tenter d’identifier les besoins des forces policières haïtiennes. Ottawa aura donc une bonne idée de la façon dont ses 100 millions pourront être investis de la façon la plus efficace possible.

Depuis 1995, soit en près de trois décennies, quelque 150 millions ont été investis par le Canada dans la police nationale d’Haïti. On comprend donc que la somme qui vient d’être annoncée est substantielle.

Est-ce que ça va permettre un retour à la normale à court terme ? Non. D’autres gestes, certains plus robustes, devront être posés en temps et lieu, possiblement sous l’égide des Nations unies.

Mais dans les circonstances, Joe Biden a raison de ne pas être « déçu » par cette nouvelle initiative canadienne.

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