Le ministre de la Cybersécurité et du Numérique vit-il dans une autre galaxie ? En retrait depuis le début de la crise à la SAAQ, Éric Caire est sorti de son mutisme cette semaine pour… s’autocongratuler.

« Dans les faits, on aurait dû recevoir des éloges pour ce projet-là, mais ce n’est pas ce qui est arrivé visiblement », a-t-il confié à TVA, en jetant le blâme sur les dirigeants de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).

Pardon ?

La migration vers le nouveau système informatique de la SAAQ – un mégaprojet d’un demi-milliard – tourne carré. Les citoyens gèlent de longues heures devant les points de service, incapables d’obtenir ou de renouveler leur permis de conduire.

Et M. Caire voudrait des éloges ? Il mérite plutôt la médaille d’or dans la catégorie « je m’en lave les mains ».

Pourtant, c’est sa responsabilité de s’assurer que les projets numériques de l’État avancent rondement. On ne lui demande pas de visser tous les boulons lui-même, mais au moins d’effectuer une surveillance de chantier serrée.

Manifestement, ici, quelque chose lui a échappé.

Éric Caire ne peut pas se défiler en disant que son ministère n’existait pas lorsque le projet de conversion numérique SAAQclic a été lancé en 2018. D’accord, son ministère n’a été créé qu’en 2022, mais il était ministre délégué à la Transformation numérique depuis 2018.

Il aurait dû voir ça venir, gros comme un 18 roues. D’autant que le syndicat avait averti que le projet s’en allait dans le mur.

Mais le gouvernement a dormi au gaz. Et voilà qu’on se retrouve avec un énième fiasco informatique sur les bras. Cela n’augure rien de bon pour la transition numérique dont la Coalition avenir Québec (CAQ) a fait sa priorité, à juste titre.

Pour éviter d’autres dérapages, il est temps qu’on se demande pourquoi le public gère aussi mal les projets informatiques.

Les raisons sont multiples.

D’abord, n’importe quel expert informatique vous dira que la gouvernance est la clé. Du côté privé, il y a toujours un responsable qui surveille l’évolution du projet. Mais dans le public, la reddition de comptes fait défaut, comme le prouve la réaction de M. Caire. Tous se renvoient la balle qui finit par tomber dans le filet.

Le public a aussi la mauvaise habitude de prendre de trop grosses bouchées, pour ensuite s’étouffer, comme on le voit à la SAAQ. La société d’État a même suspendu ses services pendant trois semaines, signe de ses difficultés à digérer sa migration.

Trois semaines ! C’est inacceptable. Aucune entreprise privée n’aurait agi ainsi, au risque de perdre sa clientèle et de faire faillite. Mais un monopole d’État qui tient la population en otage se croit tout permis.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

La succursale bondée de la SAAQ du boulevard Henri-Bourassa, à Montréal

Et ce n’est pas tout.

Trop souvent, le gouvernement n’écoute pas les consultants qu’il paie pourtant le gros prix. Cas vécu : un expert recommande d’améliorer la climatisation de la salle qui accueillera les nouveaux serveurs. Bah ! Pas besoin, rétorque le gouvernement. Et après l’installation, ô surprise, les ordinateurs surchauffent.

Ajoutez à cela la maladie chronique des formulaires à remplir qui ralentit le public. Ajoutez aussi la difficulté de recruter des informaticiens d’expérience. Et vous comprenez pourquoi il y a autant de naufrages informatiques au public.

Au fédéral, l’implantation du système de paie Phénix, véritable honte nationale, a marqué les esprits. Mais Québec a aussi connu son lot de désastres : le Dossier Santé Québec (DSQ), le projet des Solutions d’affaires en gestion intégrée des ressources (SAGIR), le système de communication d’urgence RENIR…

Ce sont des milliards de dollars qui ont été jetés par les fenêtres au fil des ans.

Sur les banquettes de l’opposition, Éric Caire ne ratait pas une occasion de réclamer une commission d’enquête publique et d’exiger qu’on fasse rouler la tête des incompétents. Ce sera donc gênant pour lui de s’opposer à la demande du Parti libéral qui veut une commission parlementaire sur les déboires à la SAAQ.

Il est urgent de faire l’autopsie de ce dérapage pour éviter des sorties de route encore plus graves.

Il n’y a pas de quoi être rassuré quand on sait que la SAAQ n’est que le premier service où Québec va déployer son Service d’authentification gouvernementale (SAG) qui doit renforcer l’identification des citoyens.

La CAQ doit aussi débloquer jusqu’à 3 milliards pour développer le Dossier de santé numérique appelé à devenir la colonne vertébrale du réseau de la santé, qui fonctionne encore à coup de fax.

On parle aussi d’implanter des caméras corporelles pour les policiers. Mais bonne chance pour arrimer le flot de preuve audiovisuelle numérique avec les palais de justice qui sont encore le royaume de la photocopieuse.

Soyons clairs : la transition numérique est essentielle. C’est notre planche de salut pour améliorer notre productivité et faire échec à la pénurie de main-d’œuvre. Mais les sommes en jeu sont énormes. Et les écueils sont nombreux.

Assurons-nous d’avoir les meilleures personnes au ministère du Numérique. Un ministre solide. Des experts chevronnés. Ça coûtera ce que ça coûtera. Ce sera toujours moins cher qu’un gaspillage éhonté de fonds publics en cas de dérapage.

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