Il y a 60 ans, le Québec a élu un gouvernement dont la vision était de moderniser et développer la société en utilisant le secteur public comme levier pour son développement économique, culturel et social.

Il a été possible de réaliser cette vision grâce à la capacité fiscale disponible, aux paiements de transfert fédéraux et au niveau de la dette qui était relativement bas. De 1962-1963 à 1970-1971, les dépenses pour les services publics sont ainsi passées de 6,3 % à 16,5 % en pourcentage du PIB. La croissance a par la suite ralenti pour atteindre 17,7 % du PIB en 1975-1976.

Cette évolution budgétaire a épuisé la marge de manœuvre disponible, en partie à cause d’une gestion négligente dans trois domaines en particulier : un fardeau fiscal des contribuables individuels de 20 % supérieur à celui des autres provinces, un niveau de rémunération des employés de l’État qui était 16 % en avance sur celui du secteur privé et un déficit actuariel des régimes de retraite. Il fallut prendre à partir de 1976-1977 des mesures de correction. Mais elles ne furent pas suffisantes, et de 1975-1976 à 1981-1982, le déficit augmenta de 951 millions à 2,6 milliards. Soudainement, l’économie tomba en récession en août 1982 et on a eu à faire face à la dure réalité des contraintes financières dans une conjoncture économique défavorable. C’est un peu en panique que le gouvernement haussa les taxes (sur l’essence en 1981 et sur les ventes au détail ensuite) et baissa les dépenses, notamment en récupérant en 1983 une partie des augmentations des salaires consenties précédemment.

Les années suivantes furent une période difficile, car il fallut continuer les restrictions budgétaires. Incapable d’éliminer des activités précises, le Conseil du trésor utilisa la technique du gel des budgets au début de l’année financière, ce qui laissait aux ministères la responsabilité de réduire leurs dépenses. Le déficit fut stabilisé, mais il était encore à 3 milliards en 1990-1991 lorsque frappa une nouvelle récession causant une crise budgétaire semblable à celle de 1982-1983. Le déficit grimpa jusqu’à 5,8 milliards en 1994-1995, et en mars 1996, le gouvernement a tenu un sommet socioéconomique pour discuter de la situation budgétaire difficile et des moyens qui pourraient être utilisés pour revenir le plus rapidement possible à l’équilibre budgétaire. C’est à la suite de ce sommet que fut décidée la politique du déficit zéro qui s’est traduite entre 1997 et 2000 par une diminution de services à la suite d’un programme de retraite volontaire dont 37 000 employés se sont prévalus.

C’est dans cette confusion que fut mis en place en 1997 un nouveau système de comptabilité budgétaire qui s’inspirait de celui des entreprises. Au lieu d’avoir un budget traditionnel intégrant à la fois les dépenses courantes et celles des immobilisations, le budget ne porterait dorénavant que sur les dépenses courantes, ce qui est contraire à la pratique internationale d’avoir un budget consolidé. Ce fut une grave erreur, car un gouvernement, ça ne se gère pas comme une entreprise.

Dans le secteur public, la notion d’investissement est totalement différente, car certaines dépenses courantes – comme celles en éducation – sont autant un investissement important que celles dans les infrastructures et immobilisations.

Quoiqu’il en soit, cette méthode a eu pour effet de changer la nature du déficit puisqu’il ne comprenait plus l’impact financier des immobilisations. Le déficit zéro fut donc plus facile à atteindre et déjà, en 1998-1999, on enregistra un surplus de 126 millions au lieu d’un déficit de 1 milliard, selon l’ancienne comptabilité. Il est probable que le gouvernement n’aurait pas choisi de faire le programme de retraite volontaire s’il avait su que le déficit zéro pouvait être atteint aussi facilement.

À cela s’ajoute un autre aspect problématique du nouveau système de comptabilité, découlant du fait qu’il permet de distinguer la partie de la dette qui aurait théoriquement servi au financement des investissements par rapport à celle qui serait due aux déficits passés. Pour ne pas transmettre cette deuxième partie de la dette aux générations futures, le gouvernement a créé en 2006 le Fonds des générations (FG). Cette nouvelle politique a eu deux conséquences financières importantes. Tout d’abord, le FG est financé par des revenus spécifiquement dédiés, augmentant d’autant le fardeau fiscal des individus et des entreprises. En 2022-2023, le montant de ces revenus est estimé à 3,4 milliards. La deuxième conséquence est reliée au fait que seulement les revenus dédiés au FG sont inclus dans le budget. En n’incluant pas dans les dépenses les versements au FG, le solde budgétaire est débalancé et ne reflète pas intégralement la situation financière.

En résumé, nous avons actuellement un modèle de gestion des finances publiques qui poursuit un ensemble d’objectifs incohérents :

  • Le système de comptabilité budgétaire adopté en 1997 n’est pas adapté au mode de gestion d’un gouvernement et ne permet pas de calculer correctement le solde budgétaire car il n’inclut pas les immobilisations et les versements au FG ;
  • À la suite de la création du FG, l’objectif officiel de la politique budgétaire du déficit zéro a été dévié vers le remboursement de la dette au détriment du financement des services publics réguliers ;
  • Le calcul du solde budgétaire a été de plus manipulé en fonction d’objectifs cycliques que le gouvernement jugeait plus appropriés, comme c’est le cas avec la réserve de stabilisation qui n’est qu’un jeu de camouflage comptable entre les années de surplus et les années de déficit.

La conclusion qui s’impose : il est nécessaire de changer notre politique budgétaire si on veut être capable au cours des prochaines années de refinancer correctement les services publics déficients, de choisir les bonnes priorités et de relever les énormes défis sociaux et écologiques qui nous attendent. Le prochain budget du ministre des Finances sera-t-il à la hauteur de ces attentes ?

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