Une pandémie juxtaposée à l’inflation a laissé son lot de conséquences. Certaines d’entre elles sont originales, comme le télétravail. D’autres sont déplorables, comme la montée de l’absentéisme industriel.

Faute de main-d’œuvre suffisante, la production des entreprises s’est affaissée provoquant des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement. Ces perturbations ont boosté à leur tour l’inflation vers des sommets jusque-là inégalés. Voyant une partie importante de sa liberté de consommer lui échapper, la classe moyenne est apeurée.

Dès lors, la colère ouvrière est sur une voie ascendante. De nombreuses négociations collectives sont bloquées entre les demandes salariales des syndicats et les plans de survie des entreprises. Face à un coût de la vie qui s’affole, le syndicalisme augmente ses exigences salariales afin de compenser les effets de l’inflation. Et comme si tout cela n’était pas assez, s’ajoute une pénurie de main-d’œuvre issue d’un transfert générationnel. Les jeunes ne sont pas en nombre suffisant pour remplacer les départs des boomers, qui n’ont pas reproduit les tailles familiales qui les ont fait naître.

L’inflation est une source de revenus pour l’État à cause de l’impôt progressif, voire agressif. Ainsi, depuis la montée fulgurante des prix immobiliers, les municipalités savourent les rentrées de fonds que leurs taxes dites de « bienvenue » ou foncières leur procurent. Le gouvernement du Québec n’est pas en reste. Par exemple, sur le plan de l’impôt sur le revenu, ce qui excède 104 000 $ par année est amputée de moitié au Québec (incluant la taxation fédérale). Or l’inflation pousse les salaires vers le haut. S’ajoutent les taxes sur les produits et services. Ainsi, le gouvernement du Québec enregistre des rentrées additionnelles de revenus, soit de 2,8 milliards de dollars pour l’exercice financier 2021-2022 et de 3,4 milliards pour celui de 2022-2023. Pendant que les gouvernements s’en tirent allégrement, les travailleurs ne savent plus quel dieu invoquer face à l’affaissement de leurs finances personnelles. Finalement, la Banque du Canada monte son taux directeur pour juguler l’inflation. Dans la vision ouvrière, tout cela est une catastrophe face à des renouvellements hypothécaires ou des produits alimentaires qui atteignent des prix hors de l’ordinaire.

Ainsi, pour des motifs qui leur échappent, travailleurs et dirigeants sont à cran. Les salariés deviennent impatients. En outre, pris dans le piège de la pénurie de main-d’œuvre, les patrons se méfient d’une intransigeance à l’endroit des travailleurs qui pourrait placer leur entreprise en péril. Mais ces derniers veulent des valorisations salariales aptes à compenser l’inflation. Par conséquent, les négociations collectives ralentissent ou bloquent littéralement. Les mandats de grève pullulent.

Dans le secteur public, un front commun syndical réunissant les trois principales centrales syndicales du Québec a pris racine. Cette association circonstancielle représente environ 400 000 travailleurs sur un effectif public total d’environ 580 000 travailleurs (santé, éducation, ministères et leurs organismes), en excluant les employés des municipalités. L’enjeu financier est donc colossal. Le budget du Québec était de 298 milliards en 2022. La moitié de cette somme, soit environ 150 milliards de dollars, constitue la masse salariale du budget précité. Par conséquent, chaque tranche de 1 % en augmentation de salaires, pour l’ensemble de l’effectif public, représente une dépense étatique d’environ 1,5 milliard de dollars. Surgit alors le difficile équilibre entre le coût des conditions de travail des fonctionnaires ou des para-fonctionnaires avec le niveau de taxation citoyenne.

Le taux de syndicalisation québécois, tous secteurs industriels confondus, atteint 40 % de la force active. Dans le secteur public, la densité syndicale oscille à 80 %. En clair, le vote des syndiqués compte davantage au Québec que dans d’autres provinces canadiennes où la densité syndicale est plus faible. L’amplitude des services étatiques juxtaposée à la pénétration syndicale politisent rapidement les négociations collectives dans le secteur public québécois.

Par ailleurs, dans le secteur privé, les situations fluctuent selon les milieux industriels. Là où le coût des salaires est faible par rapport au chiffre d’affaires, les salaires sont excellents. C’est le cas dans l’industrie de l’aluminium ou de la pétrochimie. La situation est toutefois difficile si la part des salaires dans le budget global des entreprises est élevée ou si les matières premières sont inaccessibles. Plusieurs d’entre elles déposent simplement leur bilan et les salariés sont alors mis au ban.

Jusqu’à ce jour, le gouvernement du Québec s’est plutôt bien acquitté de certaines négociations, comme celles des ingénieurs ou des avocats de l’État. Quant aux principales conventions collectives du secteur public québécois, elles prendront fin le 31 mars 2023. Le passé révèle que les négociations en vue de les renouveler peuvent prendre du temps. Idéalement, le syndicalisme tire avantage à confronter l’État à la dernière année de son mandat. Toutefois, les élections provinciales sont prévues en 2026.

À la limite, l’enjeu caché des futures négociations collectives entre l’État et le front commun syndical n’est rien de moins que la survie de la charte sociale déjà affublée par des ruptures de services. Quant au secteur privé, il offre une vaste diversité de situations allant du pire au meilleur. Qu’il s’agisse du secteur public ou du secteur privé, un dialogue social de qualité entre le patronat et les syndicats est un impératif. Les futures négociations collectives devront s’inspirer d’une pensée systémique sensible au développement de l’intelligence artificielle qui transformera l’organisation du travail. Cet enjeu est d’une importance stratégique considérable. Il sollicite un dialogue social responsable et raisonné.

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