Ça ne va pas du tout dans le merveilleux monde des ambulances au Québec.

Des entreprises privées dont les revenus proviennent de l’État refusent d’ouvrir leurs livres au gouvernement, ont développé des rapports de force malsains avec Québec et provoquent des ruptures de service sans se voir imposer de pénalités.

Encore ce mois-ci, un garçon a dû attendre l’ambulance deux heures après un accident de ski à La Tuque.

Ces problèmes extrêmement préoccupants ont été exposés récemment dans une série d’articles publiés par les Coops de l’information⁠1.

Des problèmes qui avaient déjà été étayés dans de nombreux rapports qui accumulent la poussière depuis une bonne décennie.

On en retient une chose : les intérêts financiers des entreprises privées ont pris le dessus sur l’intérêt des patients. C’est intolérable et ça doit changer.

L’organisation des services dits « préhospitaliers » est alambiquée au Québec.

À Montréal et à Laval, c’est une entité publique, Urgences-santé, qui prend en charge le service d’ambulance. Ailleurs, une cinquantaine d’entreprises privées et de coopératives se divisent le territoire.

C’est surtout avec elles que ça accroche. En 2014, un rapport montrait que même si le gouvernement paie la facture, il « est tenu dans l’ignorance du profit réel des entreprises et de l’utilisation qu’elles en font ».

Le rapport concluait que le mode de gestion « ne s’appuie pas sur une reddition de comptes transparente » et que les entreprises ont établi un « rapport de force » axé sur la « recherche de multiples compensations financières plutôt que sur un véritable partenariat orienté vers les besoins des patients et de la population ».

En clair, Québec paie le privé sans savoir si l’argent est bien dépensé. Selon le ministère de la Santé, la facture s’élève à environ 600 millions de dollars chaque année.

En 2020, la vérificatrice générale arrivait au même constat. Elle-même s’est butée au refus des entreprises quand elle a tenté d’obtenir des informations qui auraient permis d’évaluer leur performance. Pour des gens qui vivent des deniers publics, il faut quand même du culot !

En juin 2021, un nouveau rapport commandé par Québec a proposé une réforme. L’idée : regrouper les 18 régions actuellement desservies par les ambulances en cinq « pôles » rassemblés au sein d’une « direction nationale ». Les auteurs insistent pour dire que cela n’implique pas nécessairement une nationalisation tous azimuts.

Ces auteurs, des universitaires qui ont passé 18 mois à scruter le système ambulancier québécois, se sentent aujourd’hui trahis. La Politique gouvernementale sur le système préhospitalier d’urgence, publiée l’été dernier par le gouvernement Legault, écarte leur solution.

Plutôt que de se lancer dans une réforme de structure, le ministre de la Santé, Christian Dubé, affirme pouvoir réparer le système de l’intérieur.

Les contrats avec les entreprises ambulancières prennent fin le 31 mars. Le ministre affirme qu’il n’est plus question d’en signer de nouveaux les yeux fermés. Il veut forcer les entreprises à dévoiler leurs états financiers et compte instaurer une imputabilité dans la livraison de services.

S’il parvient effectivement à mettre le privé au pas sans chambouler le réseau, nous serons les premiers à applaudir. C’est d’autant plus vrai que le ministre jongle déjà avec de nombreuses réformes. Tant mieux s’il peut en éviter une autre.

Mais les sceptiques sont nombreux. « Ça fait 35 ans que les ministres demandent une ouverture lors de la négociation des contrats. Chaque fois, on dit que la gouvernance sera revue et que les livres vont être ouverts », commente Robert H. Desmarteau, professeur de stratégie à l’UQAM et l’un des auteurs du dernier rapport.

On peut donc dire qu’il s’agit de la négociation de la dernière chance. Le ministre Dubé a des obligations de résultat. Quant aux entreprises, elles doivent réaliser qu’il est tout à fait possible de confier le transport par ambulance au public, comme c’est le cas pour les pompiers et les policiers. Ça se fait même dans deux des trois plus grandes villes du Québec !

La survie de ces entreprises dépend de leur ouverture à changer leurs pratiques.

Rectificatif
Une version précédente de ce texte laissait entendre que la facture totale pour les entreprises privées de services préhospitaliers « frôle le milliard de dollars ». Le chiffre réel est estimé à 600 millions par le gouvernement. Nos excuses.

1. Lisez un reportage du Nouvelliste Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion