Des véhicules de plusieurs tonnes qui foncent dans des rues résidentielles à pleine vitesse en brûlant les feux rouges, pilotés par des employés exténués pour qui chaque seconde compte.

Si on était en guerre, on pourrait comprendre.

Mais il ne s’agit pas de guerre. Il s’agit de ramasser… de la neige.

Notre collègue Philippe Teisceira-Lessard montrait lundi à quel point les opérations de déneigement transforment Montréal en far west. Adieu le Code de sécurité routière, bonjour les infractions et les manœuvres dangereuses.1

Ce n’est pas nouveau, direz-vous. C’est vrai.

Tout Montréalais qui tient à la vie a appris de longue date à se méfier des chenillettes, épandeuses, niveleuses, souffleuses, remorqueuses et autres camions qui prennent nos rues d’assaut après les tempêtes.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Bon an, mal an, les opérations de déneigements tuent trois Montréalais, sans compter les blessures (leur nombre ne fait pas l’objet de statistiques officielles).

Ce n’est pas pour rien. Bon an, mal an, les opérations de déneigements tuent trois Montréalais, sans compter les blessures (leur nombre ne fait pas l’objet de statistiques officielles).

Encore ce week-end, la vidéo d’une niveleuse roulant à tombeau ouvert le long d’un parc d’Outremont en se fichant royalement des stops a scandalisé les citoyens.2 En janvier, un chauffeur de camion de déneigement se filmait au volant en jurant contre les policiers et diffusait le tout en direct sur TikTok. 3

À quel moment en sommes-nous venus à croire que les courses de véhicules lourds dans nos rues sont inévitables ? Qu’il s’agit de la seule façon de ramasser la neige dans une ville ?

Ces pratiques sont au contraire intolérables.

Déneiger une métropole de la taille de Montréal sera toujours une opération lourde et complexe. Mais ça n’a pas à se faire avec cette précipitation, au mépris de la sécurité la plus élémentaire.

La Ville de Montréal affirme qu’elle fait tout pour ne pas encourager la frénésie. Les contrats sont accordés pour des territoires fixes afin d’empêcher que ceux qui se dépêchent fassent de plus grosses affaires. Et la rémunération est versée au volume de neige. Que celle-ci se ramasse vite ou lentement ne change pas l’enveloppe.

Le hic, c’est que les entrepreneurs qui font affaire avec la Ville engagent à leur tour des sous-traitants et les paient comme bon leur semble.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Voir des mastodontes griller des feux rouges cadre très mal avec la « Vision Zéro » de Projet Montréal (objectif zéro décès et blessé grave sur les routes) et avec les valeurs que prône cette administration.

Au bout du compte, peu importe la mécanique. La responsabilité de s’assurer que les choses se déroulent correctement est celle de la Ville. Nos élus ne peuvent pas uniquement regarder la finalité – les rues déblayées – en fermant les yeux sur les moyens utilisés.

Si des chauffeurs privés se comportent en cowboys, c’est à la Ville d’épingler son étoile de shérif et de faire régner l’ordre (les contrôleurs routiers qui y travaillent sont de toute évidence insuffisants). Si les entrepreneurs que la Ville engage ne peuvent garantir que le travail est fait de façon sécuritaire, qu’elle les pénalise.

À la suite de l’article de notre collègue, la Ville nous a dit vouloir envoyer une « communication » aux entrepreneurs pour leur rappeler l’importance de respecter le code de la route. Soyons sérieux : c’est nettement insuffisant.

Aref Salem, chef de l’opposition officielle, propose plutôt d’établir une « liste noire » des mauvais élèves – le Bureau de l’inspecteur général en tient déjà une pour les entreprises corrompues, qui ne peuvent plus recevoir de contrats de la Ville. Voilà qui aurait plus de mordant.

Chose certaine, un grand ménage s’impose. Voir des mastodontes griller des feux rouges cadre très mal avec la « Vision Zéro » de Projet Montréal (objectif zéro décès et blessé grave sur les routes) et avec les valeurs que prône cette administration.

Il faudra finalement que tous les Montréalais fassent leur examen de conscience. Nous voudrions tous que nos rues soient déneigées aussitôt le dernier flocon tombé, et même avant si possible. Critiquer la supposée lenteur des opérations de chargement de la neige est d’ailleurs un sport prisé.

Or, s’il est crucial que les trottoirs et les rues soient déblayés et déglacés promptement, nous pouvons vivre avec des places de stationnement encombrées de neige un peu plus longtemps, même si cela entraîne des désagréments.

Dégager rapidement du stationnement ne devrait jamais se faire au détriment de notre sécurité collective.

1 Lisez l’article : « Déneigement et sécurité routière : Far West dans la neige » 2 Consultez le fil Twitter d’Eric Poteet 3 Écoutez l’extrait audio du 98,5 FM : « Il se filme en direct en conduisant son camion lourd » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion