Agressions sexuelles. Voies de fait. Torture.

Ce sont tous des actes criminels.

Ce sont aussi tous des actes commis aux dépens de recrues lors d’initiations au hockey junior. Ces révélations, tirées des témoignages d’ex-joueurs ayant intenté une action collective en Ontario et publiées lundi par le collègue de Radio-Canada Martin Leclerc⁠1, donnent le goût de vomir.

Toute la classe politique a été dégoûtée par ces révélations d’agressions sexuelles, de bâtons de hockey insérés dans l’anus, de coups de fouet sur des recrues nues, de séquestration à l’arrière de l’autobus, de crème analgésique chauffante sur des parties génitales.

La Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ) viendra s’expliquer en commission parlementaire à Québec. C’est nécessaire, mais c’est très, très loin d’être suffisant.

Si les parlementaires et les gouvernements veulent vraiment agir concrètement dans ce dossier, ils n’ont qu’une chose à faire : déclencher une enquête publique sur le climat toxique et la maltraitance dans le hockey junior.

Dans ces pages en décembre dernier, on a demandé à Ottawa de déclencher une commission d’enquête publique sur le sport toxique⁠2. On n’a pas changé d’idée.

Mais les faits révélés cette semaine sont si dérangeants qu’ils nécessitent une commission à eux seuls, spécifiquement pour le hockey junior.

Les gouvernements ont la responsabilité morale de s’assurer :

1) que cette culture de la maltraitance soit bel et bien chose du passé ;

2) que les jeunes hockeyeurs puissent pratiquer leur sport dans un environnement sécuritaire ;

3) qu’on puisse établir précisément ce qui s’est passé, à différentes époques ;

4) qu’on puisse établir la responsabilité des adultes responsables, des équipes et des ligues, et appliquer des sanctions en conséquence.

Si Ottawa fait la sourde oreille, le Québec peut procéder seul.

Ne devrait-on pas donner l’occasion aux ligues, dont la LHJMQ, de faire leur enquête ? Justement : elles l’ont eue, cette occasion. Et elles ne l’ont pas saisie, préférant se convaincre qu’il n’y avait pas de problème.

En juin 2020, deux ex-joueurs, Daniel Carcillo et Garrett Taylor, déposent une action collective contre les ligues de hockey junior et leurs équipes. Ils allèguent avoir été victimes d’abus répétés (notamment, mais pas seulement lors d’initiations), disent que ces abus sont systémiques, et que les ligues/équipes n’ont rien fait pour y mettre fin. Ces gestes auraient eu lieu respectivement en 2002 et en 2008-2009. D’autres joueurs se sont ajoutés au fil du litige : 19 anciens joueurs ont témoigné avoir subi des sévices entre 1979 et 2014.

Que font les ligues ? Elles engagent un trio d’experts (l’ex-joueur Sheldon Kennedy, l’ex-politicien Camille Thériault, et l’ex-entraîneuse Danièle Sauvageau) pour évaluer la situation et lui faire des recommandations. Leur rapport, soumis en novembre 2020, est dévastateur : il y a une « culture systémique de mauvais traitement », ces abus ont « des impacts significatifs » à long terme pour les victimes, et il y a une « culture du silence » empêchant les joueurs de porter plainte.

Le trio d’experts fait un sondage parmi 259 joueurs qui évoluent au hockey junior en 2020. Pas en 1982. En 2020. Les conclusions sont alarmantes :

– 10 % des joueurs se sont dits victimes d’intimidation (bullying) ou de harcèlement dans ce milieu ;

– 26 % des joueurs ont vu des cas d’intimidation ou de harcèlement ;

– 45 % des joueurs ont entendu parler de tels cas ;

– seulement 3 % des joueurs ont signalé ces cas aux autorités du hockey junior.

Réaction d’une personne avec une conscience sociale : on a un gros problème, il faut faire des changements majeurs pour protéger nos athlètes.

Réaction du milieu du hockey junior : on cache le rapport pendant 14 mois, on en commande un autre à une firme d’avocats, et on ne change presque rien.

Le commissaire de la LHJMQ, Gilles Courteau, estime qu’il n’avait « pas le sentiment de devoir faire quelque chose de spécial » après le rapport Kennedy-Thériault-Sauvageau. Le président de la Ligue canadienne de hockey, Dan MacKenzie, « ne sent pas que c’est systémique », a-t-il témoigné en cour. Rappel : 10 % des joueurs en 2020 disent avoir été victimes d’intimidation ou de harcèlement. Ça démontre à quel point certains dirigeants du hockey junior préfèrent se mettre la tête dans le sable…

À moins d’être atteint de naïveté maladive, on ne peut plus faire confiance aux ligues juniors pour enrayer ce problème de culture toxique. Elles sont poursuivies au civil par d’ex-joueurs, ont trop à perdre en matière de réputation et n’ont pas pris la mesure du problème quand on les a alertées à l’automne 2020.

On aimerait croire que cette culture toxique a été chassée du vestiaire. Mais les données très inquiétantes du sondage de 2020 laissent planer un sérieux doute.

Pendant ce temps, la poursuite civile se poursuit en Ontario. Les victimes doivent être dédommagées pour ce qu’elles ont subi.

Peu importe l’issue de cette poursuite civile (ou d’éventuelles enquêtes criminelles s’il y a des plaintes à la police), il faut déclencher une enquête publique. Les victimes pourront témoigner en toute confiance de façon confidentielle, sans crainte de se faire ostraciser par le monde du hockey.

C’est bien la moindre des choses à faire pour les victimes.

1 Lisez « La torture, le viol et l’humiliation dans un aréna près de chez vous » 2 Lisez « Il faut une commission nationale sur le sport toxique » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion