Pendant qu’Ottawa et les provinces jouent au ping-pong avec le financement de la santé, on perd de vue l’essentiel.

Ce n’est pourtant pas sorcier : la croissance des dépenses en santé à long terme (5 %) sera supérieure à la croissance de l’économie (4 %) et des revenus des gouvernements qui servent à payer la facture. Pour combler cet écart structurel de 1 point de pourcentage, il faudra donc davantage d’impôts… à moins de faire des coupes ailleurs, ce qui atrophierait les autres missions de l’État. Oublions ça.

Dans ce contexte, la Coalition avenir Québec (CAQ) ne pouvait pas choisir un pire moment pour accrocher ses pancartes électorales en vue de l’élection complémentaire dans Saint-Henri–Sainte-Anne. Tout sourire, François Legault s’affiche avec le slogan : « Baisses d’impôt dès 2023 ».

Fondamentalement, ce cadeau dont nous n’avons pas les moyens est une forme de déni face aux besoins du réseau de la santé.

Et stratégiquement, il sape le pouvoir de négociation de Québec face à Ottawa qui a justement offert cette semaine une hausse des transferts en santé de 46 milliards de dollars sur 10 ans aux provinces et aux territoires, alors qu’ils en réclamaient six fois plus.

Il est vrai que leurs demandes étaient déraisonnables, mais l’argent promis par Ottawa est loin d’être suffisant.

À long terme, le fédéral a plus de marge de manœuvre que les provinces, dont les finances publiques sont minées par le vieillissement de la population qui fait grimper les dépenses en santé dont elles assument 78 % de la facture.

Si rien ne change, Québec sera chroniquement déficitaire, ce qui est insoutenable à long terme, selon une étude de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke1.

Ottawa doit en faire plus. Mais à court terme, le fédéral est fauché, à cause des coûts de la pandémie qui ont fait exploser ses dettes de 30 % à 50 % du PIB. En plus, Justin Trudeau ne s’est pas privé d’augmenter les dépenses (services de garde, assurance dentaire, etc.).

Si les provinces ont accepté sans trop rechigner l’offre peu alléchante du fédéral, c’est qu’elles savent que le débat sur les transferts en santé ne fait que commencer.

On n’en est qu’à la première manche…

Mais ce n’est pas en se renvoyant la balle qu’on réglera le problème. Et au bout du compte, l’argent viendra toujours de la même poche : celle du contribuable, qui n’a pas grand-chose à cirer des débats de chiffres et des querelles fédérales-provinciales.

Ce qu’il veut, c’est un médecin de famille disponible, une opération de la hanche dans des délais raisonnables, des urgences qui n’ont pas l’air de la jungle…

Pour en finir avec l’éternel débat sur les transferts en santé, Ottawa pourrait carrément transférer aux provinces des points d’impôt, comme en 1977.

En clair, le fédéral baisserait ses impôts pour laisser aux provinces un nouvel espace de taxation destiné au financement de la santé. On procéderait à un ajustement de la péréquation au profit des provinces moins nanties afin d’assurer des services uniformes à l’échelle canadienne.

De cette manière, les provinces deviendraient entièrement responsables de la gestion de la santé, qui est dans leur champ de compétence. La logique même ! Mais cette idée risque de déplaire à bien des Canadiens pour qui les soins de santé universels sont l’icône de l’unité nationale.

Oui, une icône. Mais encore faut-il la financer adéquatement si on ne veut pas que son vernis craque encore plus.

Devrait-on instaurer une taxe spéciale comme l’avait recommandé, en 2002, le sénateur Michael Kirby, à la tête d’un comité transpartisan qui avait sillonné le Canada et récolté quelque 400 commentaires ? Vingt ans plus tard, la question reste d’actualité.

Mais l’argent n’est pas un remède miracle non plus.

Déjà, le Canada est au deuxième rang des pays qui consacrent le plus d’argent à la santé en proportion de leur PIB (12,9 %), bien au-dessus de la moyenne de l’OCDE (9,7 %).

Malheureusement, nous n’en avons pas pour notre argent, car le Canada se classe 10e sur 11 pays pour la performance de son réseau, selon une comparaison effectuée par le réputé Commonwealth Fund2.

Voilà la preuve que l’argent ne guérit pas tout, notamment la pénurie de main-d’œuvre qui est derrière bien des maux. Même avec des salaires plus élevés, on ne peut pas cloner les travailleurs de la santé.

Nous n’avons donc pas le choix d’agir autrement. Des exemples ?

– Décentraliser le réseau pour stimuler l’innovation qui viendra des gens sur le terrain si on leur donne les moyens de changer les choses, en mesurant les résultats.

– Investir dans la techno pour améliorer la productivité, notamment en réduisant la paperasse qui occupe le quart du temps des médecins3.

– Vaincre le corporatisme qui empêche le décloisonnement des tâches et limite la reconnaissance de travailleurs étrangers.

– Permettre au privé d’offrir plus de soins, couverts par le public, dans les domaines où il peut amener des gains d’efficacité4.

Avec du courage politique, on peut y arriver. Et le ministre de la Santé Christian Dubé en a. Appuyons-le.

Tous ces efforts de modernisation peuvent atténuer la hausse des coûts, sans pour autant la freiner en entier. Alors de grâce, arrêtons de baisser les impôts, limitons les nouvelles dépenses et concentrons-nous sur l’essentiel : la santé.

1. Consultez l’étude de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke 2. Consultez l’étude du Commonwealth Fund (en anglais) 3. Lisez un éditorial de Vincent Brousseau-Pouliot 4. Lisez un éditorial de Stéphanie Grammond Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion