Il faut lui donner ça : Gabriel Nadeau-Dubois a le sens de la formule choc. « Le privé en santé, si ça marchait, on le saurait », a dégainé le porte-parole de Québec solidaire, lors du débat des chefs à TVA, dans une répartie qui sonnait comme un vieux slogan de Réno-Dépôt.

Sauf que notre système de santé n’est pas une quincaillerie. Et la question de l’apport du privé — si délicate soit-elle — mérite d’être analysée à sa juste valeur.

Notre réseau est à ce point malade qu’on ne peut plus se permettre de lever le nez sur des pistes de solution. Il faut aller au-delà des tabous et retourner toutes les pierres. Le privé en est une.

Disons-le d’emblée, l’idée n’est pas d’encourager un système à deux vitesses où les mieux nantis paieraient avec leur carte de crédit dans le privé et les autres avec leur carte soleil dans le public.

C’est dans cette direction que nous mènerait l’engagement du Parti conservateur de permettre aux Québécois de souscrire à une assurance privée pour des soins déjà couverts par le public, ce qui est actuellement interdit, sauf pour certaines opérations précises.

Non, il s’agit plutôt de voir comment le privé peut mieux s’insérer dans notre système de santé afin d’offrir des services qui seraient remboursés par l’État, sans heurter l’universalité des soins qui est un principe phare de l’identité québécoise et canadienne.

On ne parle pas d’une révolution, car le privé est déjà partout. Les médecins qui pratiquent en cabinet sont des travailleurs autonomes. Les Groupes de médecine familiale (GMF) sont des entreprises privées. Idem pour les pharmaciens et bien d’autres spécialistes.

La Coalition avenir Québec (CAQ) veut aller encore plus loin. Voyant Éric Duhaime se rapprocher dans son rétroviseur droit, le premier ministre sortant François Legault s’est engagé à créer des mini-hôpitaux privés, où les patients n’auront rien à débourser.

Le Parti libéral veut aussi conclure davantage d’ententes avec des cliniques privées pour réduire les listes d’attente en chirurgie, tandis que QS et le Parti québécois souhaitent, au contraire, réduire le recours aux cliniques privées.

Il faut bien le dire, le privé en santé peut mener à de sérieuses dérives. On n’est pas gagnant si on crée un réseau parallèle qui cannibalise les ressources du public et fait grimper les coûts, tant pour l’État que pour le patient qui doit verser toutes sortes de frais.

On a tous en tête l’exemple des agences de placement qui ont exacerbé la pénurie de personnel dans les hôpitaux, en siphonnant les infirmières qui se voyaient offrir de meilleurs salaires et de meilleurs horaires en faisant le saut au privé. Un cercle vicieux catastrophique.

Mais on ne peut pas réduire le privé en santé à cette triste expérience.

Si le privé ne peut pas inventer par magie la main-d’œuvre qui nous manque tant, il peut apporter au système de santé des gains d’efficacité qui lui font cruellement défaut.

En fait, l’innovation est la planche de salut du réseau, puisqu’on devra soigner plus de patients avec moins de travailleurs en raison du vieillissement de la population. Vous croyez que le réseau est sous pression ? Attendez dans quelques années !

On n’aura pas le choix d’agir autrement.

On peut dégager des économies d’échelle en travaillant en partenariat avec des cliniques ou des minihôpitaux privés qui ont un champ d’action clairement délimité, ce qui leur permet d’avoir un processus plus fluide et plus efficient. L’hôpital de réadaptation Villa Medica est un exemple de succès.

La plus petite taille des établissements privés leur donne aussi davantage d’agilité, comme des lapins qui rebondissent plus rapidement qu’un mammouth comme notre réseau public.

Mais le secret de la réussite du partenariat public-privé se trouve dans la négociation du contrat.

Coincé durant la pandémie, Québec a signé des ententes avec des cliniques privées pour réduire les listes d’attente en chirurgie. Ces contrats à court terme prévoyaient des marges bénéficiaires de 15 %. Cher, très cher ! Mais en pérennisant ces ententes, on pourrait faire fondre ces marges qui seraient carrément indécentes sur du long terme.

L’autre option est de conclure des ententes prévoyant un coût fixe pour chaque opération, ce qui encourage le privé à innover… ou à tourner les coins rond.

Pour le gouvernement, il est donc crucial de maintenir une surveillance active, à l’aide de solides indicateurs de performance, et de s’assurer d’une répartition juste et équitable des bénéfices de l’innovation entre le privé et le public.

On ne veut pas d’une saga comme celle du Centre de l’œil des Laurentides, spécialisé dans les opérations pour la cataracte, qui avait tellement optimisé son processus qu’il a réussi à vider les listes d’attente… mais aussi à faire exploser la facture.

Tout est dans l’art de trouver le bon dosage.

Dans sa chanson Clocks, le groupe rock Coldplay demande : « Am I a part of the cure/Or am I part of the disease ? » La question s’applique bien au privé en santé. Organisons-nous pour qu’il nous aide à guérir le réseau, pas à aggraver son état.