La saga de l’ancien hippodrome Blue Bonnets est le triste symbole de l’immobilisme de nos élus face à la crise du logement.

Imaginez, ça fait quatorze ans que ça dure. Quatorze ans que les chevaux ont fait leur dernier tour de piste. Et il n’y a toujours pas l’ombre d’un édifice sur ce terrain qui est pourtant l’emplacement par excellence pour densifier la ville intelligemment.

Gérald Tremblay, Denis Coderre, Valérie Plante… les maires ont passé, mais le terrain reste vide, alors qu’on pourrait y construire quelque 6000 unités.

L’espace est aussi grand que 60 terrains de football. Il est situé en plein cœur de la métropole, à deux pas du métro Namur. Il n’est pas contaminé, une véritable rareté. Et il appartient à la Ville, donc aucun propriétaire ne peut freiner son développement.

Alors franchement, la lenteur dans ce dossier commence à devenir ridicule. Elle témoigne de l’incapacité des différents ordres de gouvernement de s’entendre avec le privé pour construire.

Il est vrai que le développement du site pose un grand défi, puisqu’il n’y a aucune infrastructure. Pas de réseau de distribution d’eau, pas d’égout, pas d’électricité. La facture pourrait atteindre 800 millions de dollars, ce qui ne compte même pas les coûts des travaux routiers pour désenclaver le site, notamment le raccordement du boulevard Cavendish qui est un impératif.

Or, la Ville de Montréal, qui a déjà des dettes plein les bras, n’a pas les moyens de payer cette facture, même si le développement se fait par phases. Et les promoteurs non plus, surtout qu’on leur demande de bâtir du logement social, abordable et vert pour créer un écoquartier exemplaire.

Ces objectifs sont fort louables. Mais pour les entrepreneurs privés, encore faut-il qu’il y ait une logique financière. Sinon, on se retrouve dans un cul-de-sac, comme on le voit actuellement.

Un premier appel d’offres visant la construction d’un projet contenant 60 % de condos abordables n’a pas suscité la moindre soumission de la part du privé, nous apprenait le collègue André Dubuc mardi1.

Mais la Ville avait mis la barre tellement haute – prix élevé demandé, nombreux critères à respecter – qu’on se demande si elle voulait vraiment vendre ou si elle cherchait seulement à éviter que Québec reprenne le terrain en vertu de l’entente de 2017 qui lui donnait cinq ans pour transmettre un échéancier de développement.

Chose certaine, il était bien difficile pour des promoteurs d’acheter un petit morceau du terrain sans avoir une idée d’ensemble du plan de développement. Où seront les rues, les espaces verts, la densité prévue ? La Ville promet que ces éléments seront dévoilés dans le plan directeur qu’elle soumettra en 2023. Ce ne sera pas trop tôt !

Car pendant ce temps, les Montréalais ont du mal à se trouver un toit. Avec un taux d’inoccupation au plancher, le loyer moyen d’un appartement de deux chambres a grimpé de 14,5 % en 2022, pour les unités qui ont accueilli de nouveaux locataires, selon de récentes données de la SCHL.

Il n’y a pas de secret, il faut bâtir. Et pas juste un peu. D’ici 2030, il faudrait doubler le rythme des mises en chantier et bâtir 620 000 logements de plus, estime la SCHL.

Pour éviter l’étalement urbain nocif pour l’environnement, il faut miser sur la densification urbaine, un principe que l’équipe éditoriale de La Presse a maintes fois défendu.

Mais on n’y arrivera pas sans une meilleure concertation entre les ordres de gouvernement dont les programmes sont complètement dépareillés. Comment voulez-vous que les constructeurs s’y retrouvent quand personne n’a la même définition d’un logement abordable ?

Dans le cas de Blue Bonnets, une meilleure concertation permettrait un partage du financement des infrastructures avec Québec et Ottawa. Ce genre de partenariat pour revitaliser des quartiers s’est vu partout en Europe et aux États-Unis, que ce soit à Hambourg, Édimbourg, Dublin ou Washington.

Pourquoi pas à Blue Bonnets ? Il est plus que temps qu’on arrête de tourner en rond.

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