Nos gouvernements accordent de plus en plus de contrats à des firmes de consultants comme McKinsey, ont montré récemment des enquêtes journalistiques.

Cela devrait nous inciter à regarder du côté… de la France.

L’an dernier, un rapport sénatorial a montré toute l’influence de ces entreprises sur le gouvernement français.

On y décrit l’utilisation des firmes de consultants comme un « phénomène tentaculaire et opaque » qui peut entraîner un « risque de dépendance de l’administration ».

On parle de cabinets de conseil qui « interviennent au cœur des politiques publiques » et qui exercent une « influence avérée sur la prise de décision ».

Le recours à de telles firmes « a pu devenir le réflexe d’un État qui donne parfois le sentiment qu’il ne sait plus faire », conclut le Sénat français au terme d’une commission d’enquête qui a duré quatre mois.

Lisez une synthèse du rapport « L’influence des cabinets de conseil sur les politiques publiques »

On doit vérifier si la situation est aussi grave chez nous.

La semaine dernière, Radio-Canada rapportait que la valeur des contrats accordés à la firme McKinsey par le gouvernement fédéral a explosé depuis l’élection de Justin Trudeau.

Lisez le reportage « L’influence de McKinsey explose sous Trudeau, surtout à l’immigration »

Vrai, les montants rapportés – 66 millions en sept ans – sont relativement modestes.

Chez Immigration Canada, particulièrement visé dans le reportage, on assure que les deux contrats octroyés à McKinsey pendant cette période ont fait l’objet d’un appel d’offres. Ils visaient un objectif précis, soit la transformation numérique des processus du ministère.

Les détails des contrats peuvent d’ailleurs être consultés publiquement.

C’est rassurant.

Radio-Canada affirme toutefois que d’autres contrats ont été accordés de gré à gré par Ottawa.

On sait aussi que l’ancien patron de McKinsey, Dominic Barton, a présidé en 2016 un comité qui recommandait au Canada d’accueillir jusqu’à 450 000 immigrants par an d’ici cinq ans.

Aujourd’hui, le pays a des cibles officielles de 463 000 immigrants pour cette année et de 500 000 en 2025. Oui, des processus de consultation ont eu lieu avant d’établir ces objectifs. Il reste qu’une telle politique migratoire, susceptible de changer profondément la nature du pays et de réarranger le poids politique des diverses provinces, a fait l’objet de beaucoup trop peu de débats publics avant d’être adoptée.

On peut se demander quel rôle la firme McKinsey a joué dans l’élaboration de cette politique.

Il est parfaitement sain qu’un gouvernement utilise tous les outils à sa disposition pour bien faire fonctionner l’immense machine dont il est responsable. Cela inclut le recours à des consultants externes.

Il faut toutefois garder en tête que ces entreprises n’ont pas pour objectif principal le bien commun, mais bien le développement de leurs propres affaires. Et que trop s’appuyer sur des consultants externes au détriment de l’expertise interne peut placer le gouvernement dans une position de faiblesse.

Ces gens, en tout cas, n’ont rien à faire dans l’établissement des grandes orientations des gouvernements, qui doivent rester l’apanage des élus.

On ferait bien aussi de ne pas uniquement braquer les projecteurs sur McKinsey. En France, la commission d’enquête a documenté le recours à de nombreuses firmes dont Accenture, Bain, Boston Consulting, EY et PwC.

Selon le Globe and Mail, le gouvernement fédéral a dépensé un montant colossal de 11,8 milliards auprès d’entreprises de consultation stratégique ou de technologies de l’information en 2021, contre 8,4 milliards en 2015.

Fait troublant, cette hausse de 40 % s’est produite alors même que le nombre d’employés de la fonction publique fédérale grimpait lui-même de 30 %. On peut se demander pourquoi, avec plus d’employés à l’interne, la fonction publique fédérale doit s’appuyer sur un nombre croissant de travailleurs externes pour effectuer son boulot. Surtout que les citoyens n’ont pas l’impression que la machine fédérale livre de meilleurs services, au contraire.

Les questions, on le voit, sont beaucoup plus nombreuses que les réponses dans ce dossier. Et cette fois, on ne pourra pas commander un rapport à McKinsey pour y voir clair.

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