(Ottawa) Le Parti conservateur, le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique veulent savoir à quoi ont servi les dizaines de millions de dollars versés par le gouvernement libéral à la firme de consultants McKinsey. Ils forcent la tenue d’une enquête en comité parlementaire, mais se gardent pour l’instant d’aller jusqu’à demander une enquête publique indépendante.

« La motion que nous allons déposer va obliger le gouvernement à rendre publics tous les documents, tout le bilan du travail [accompli], tout l’argent impliqué, toutes les conversations, tous les textos, les courriels », a affirmé le chef conservateur Pierre Poilievre en point de presse mardi. « Dépendant de ce qu’on apprend, peut-être qu’il va être nécessaire d’avoir d’autres enquêtes pour obtenir la vérité », a-t-il ajouté.

La firme McKinsey avait de nouveau fait les manchettes la semaine dernière lorsque La Presse Canadienne et Radio-Canada avaient révélé que le gouvernement de Justin Trudeau a eu recours aux services de ce cabinet-conseil à de nombreuses reprises.

La somme s’élève à 62 millions, selon un document produit par le gouvernement en réponse à une question au feuilleton du député conservateur de la Colombie-Britannique, Tako Van Popta. Les ministères de la Défense nationale et de l’Immigration sont ceux qui y ont eu fréquemment recours. Certains de ces contrats auraient d’ailleurs été donnés sans appel d’offres.

Les trois principaux partis d’opposition veulent forcer le gouvernement à dévoiler l’entièreté des contrats « non caviardés », a précisé le chef bloquiste Yves-François Blanchet, au comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires.

Les sommes qui ont été versées constituent du « gaspillage » de fonds publics, selon M. Poilievre alors que les libéraux multiplient les déficits depuis leur arrivée au pouvoir en 2015. « Une multinationale qui est le sujet d’une enquête criminelle en France et qui a dû payer des pénalités pour son rôle dans la crise des opioïdes qui a tué beaucoup de monde en Amérique du Nord », a-t-il souligné.

La justice française a ouvert une enquête il y a quelques mois sur le rôle de McKinsey dans les campagnes électorales du président Emmanuel Macron. La firme a également dû verser près de 600 millions à 47 États américains pour avoir aidé des compagnies pharmaceutiques à stimuler la vente d’opioïdes.

Le député néo-démocrate Matthew Greene a toutefois rappelé que les conservateurs avaient eux-mêmes donné pour 2,2 millions de contrats à ce cabinet-conseil sous le gouvernement de Stephen Harper. « Et nous avons déjà joué dans ce film, a-t-il fait remarquer dans une déclaration écrite. Les milliardaires, pas vous, en profitent lorsque les conservateurs sont au pouvoir, puis d’autres milliardaires, pas vous, en profitent lorsque les libéraux sont au pouvoir. »

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Pierre Poilievre

« Pourquoi est-ce que le gouvernement du Canada a cédé ses prérogatives par contrat à une entreprise privée étrangère ?, a demandé Yves-François Blanchet entouré de six de ses députés. En quoi est-ce que ça sert le bien commun ? »

Outre les enjeux de coûts, d’octroi de contrats et de transparence, le recours à McKinsey soulève également celui de l’augmentation des seuils d’immigration. Le chef bloquiste s’inquiète des liens entre le groupe de pression Century Initiative qui préconise des politiques publiques pour augmenter la population canadienne à 100 millions de personnes d’ici 2100 et le cabinet-conseil. Son cofondateur est Dominic Barton, qui était le grand patron de McKinsey jusqu’en 2018. Un an plus tard, il était nommé ambassadeur du Canada en Chine.

La firme McKinsey s’est défendue dans une déclaration émise en soirée. « Notre travail auprès du gouvernement canadien est entièrement non partisan et se concentre sur des points de gestion fondamentaux, tels que la numérisation et l’amélioration du fonctionnement, soutient-elle. Malgré ce qu’on a pu lire ou entendre récemment dans les médias, notre cabinet ne formule aucune recommandation sur les politiques en matière d’immigration ou sur quelque autre sujet que ce soit. »

Au cabinet de la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Helena Jaczek, on assure prendre les préoccupations des partis d’opposition au sérieux. « Nous continuons à maintenir les normes les plus élevées d’ouverture, de transparence et de responsabilité fiscales », a indiqué son attaché de presse, Olivier Pilon par courriel. Il a assuré que la ministre travaillerait avec le comité si la motion des partis d’opposition est adoptée.

Rectificatif : Dans une version précédente de cet article, La Presse Canadienne rapportait que le fédéral a déboursé un peu plus de 84 millions entre mars 2021 et novembre dernier pour divers contrats accordés à la firme de consultants McKinsey. En fait, après avoir repéré des doublons dans le document parlementaire, La Presse Canadienne a révisé à la baisse ce total en raison des même contrats listés en double par différents ministères. Ottawa a ainsi dépensé au moins 62 millions en un peu moins de deux ans pour divers contrats accordés à la firme. Le montant avait également été cité dans des dépêches transmises le 3 janvier (« Ottawa a dépensé 84 millions de dollars en contrats à la firme McKinsey ») et le 10 janvier (« Des ministres examineront les contrats à McKinsey »). Nos excuses.

Avec La Presse Canadienne