L’organisation d’un mariage est un exercice délicat. Pour contenter les deux familles, les tourtereaux sont souvent obligés d’allonger leur liste d’invités. Au lieu d’une cérémonie intime, on se retrouve avec des noces qui coûtent une vraie fortune.

C’est ce qui risque de se produire avec le mariage dévoilé cette semaine entre les néo-démocrates et les libéraux, qui assure la pérennité du gouvernement minoritaire jusqu’en juin 2025.

Ce ne sont pas les électeurs qui vont s’en plaindre, eux qui ne voulaient pas entendre parler des dernières élections et qui ont encore moins envie d’un autre scrutin, alors que l’inflation et la guerre en Ukraine suscitent beaucoup d’incertitude.

Mais si ce mariage achète la paix à court terme, sa facture risque de gonfler la carte de crédit d’Ottawa. Et devinez qui paiera. Mais oui : vous ! Et vos enfants. Avec des intérêts.

C’est que pour satisfaire tout le monde, les deux partis ont additionné leurs listes de souhaits.

Le NPD insiste notamment pour qu’on mette en place un programme d’assurance dentaire pour les personnes moins nanties qui débuterait cette année pour les jeunes de 12 ans et moins et s’étendrait graduellement à toutes les familles qui ont des revenus inférieurs à 90 000 $, d’ici 2024.

L’idée est certainement louable, quand on sait que les plus démunis sont parfois réduits à demander la charité, sur l’internet ou à leur dentiste, pour obtenir des traitements1. Mais pour le gouvernement, le coût annuel serait d’environ 1,5 milliard.

Pressés par le NPD, les libéraux se sont aussi engagés à développer un programme d’assurance médicaments national dont la facture atteindrait 19 milliards par année, selon le directeur parlementaire du budget.

De son côté, Justin Trudeau a annoncé lors de sa tournée en Europe, cette semaine, qu’il augmenterait les dépenses militaires du Canada, comme l’ont fait plusieurs pays depuis le début de l’invasion de l’Ukraine.

Même si ça ne fait pas officiellement partie du contrat de mariage, Jagmeet Singh a déclaré qu’il ne s’opposerait pas à une telle mesure, malgré les traditionnelles réticences des néo-démocrates.

Nul doute qu’un réinvestissement dans l’armée – et dans la diplomatie – est nécessaire, comme nous l’avons déjà plaidé2. Mais si Ottawa relevait ses dépenses de 1,4 % en ce moment à 2 % du PIB, comme l’OTAN le réclame, il en coûterait 15 milliards de plus par année.

Ka-ching ! Comme sur une carte de crédit, les dépenses s’additionnent vite, n’est-ce pas ? Et on n’a pas encore parlé des provinces qui réclament une augmentation des transferts en santé de 28 milliards par an.

Toutes ces demandes sont fort légitimes. Mais le hic, c’est que les libéraux continuent d’allonger la colonne des nouvelles dépenses – trois fois plus longue que celles des nouveaux revenus dans leur plateforme électorale – sans rien prévoir de plus pour équilibrer les finances publiques.

Qui va payer ?

Les banques, répondent les libéraux. D’accord, mais la surtaxe de 3 % ne rapporterait que 1,2 milliard par an.

Les « ultra-riches », répondent les néo-démocrates. OK, mais si on ne vise qu’une poignée de riches, la portée sera limitée. Et si on vise plus large, il ne faut pas oublier que le taux d’imposition des particuliers dépasse 50 % dans bien des provinces, y compris le Québec à partir d’environ 150 000 $. L’augmenter davantage découragerait l’effort et le travail, alors qu’on manque de main-d’œuvre.

Et hausser les impôts des entreprises nuirait aux investissements privés qui sont déjà à la traîne au Canada3, ce qui est préoccupant, car la machinerie et les technologies de pointe sont un facteur clé pour stimuler la productivité, la croissance économique et la création de richesse.

Une augmentation des taxes de vente (avec compensation pour les moins nantis) reste la manière la moins nocive de puiser davantage dans le portefeuille des contribuables. Mais pas la manière la plus populaire…

Sauf qu’il y a une bonne dose de pensée magique à imaginer qu’on va mettre en place des programmes sociaux qui profiteront à l’ensemble de la population sans que la classe moyenne ait à sortir un cent de son portefeuille.

On ne peut pas s’engager dans de nouvelles dépenses permanentes sans prévoir leur financement. Espérons que les libéraux, qui devraient déposer leur budget au début d’avril, feront preuve de rigueur, eux qui n’ont pas cessé de présenter des déficits plus importants que prévu, depuis 2015.

Avec la pandémie, l’endettement du Canada a bondi de 31 % à 49 % du produit intérieur brut (PIB). Certains croisent les doigts pour que le ratio dette-PIB se rétablisse simplement grâce à la croissance économique.

Sauf que l’économie a maintenant le vent contre elle, car la Banque du Canada a commencé à remonter les taux d’intérêt pour mater l’inflation, ce qui coûtera éventuellement plus cher au gouvernement pour financer sa dette.

Rien de bon pour réduire son endettement.

Alors que les libéraux se positionnent encore plus à gauche de l’échiquier politique, les conservateurs ont une belle occasion de faire contrepoids en militant pour davantage de rigueur budgétaire.

Encore faudrait-il qu’ils sortent de la boue où ils se sont enlisés en appuyant les camionneurs. Encore faudrait-il qu’ils réconcilient leurs troupes qui, pour l’instant, semblent plus près du divorce que du mariage.

1. Lisez « Quand les plus démunis s’en remettent à la charité » 2. Lisez « Armons-nous pour la paix » 3. Consultez un rapport de l’Institut C.D. HOWE (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion