Les revenus des personnes ont progressé au cours des dernières années. C’est un énorme pas dans la bonne direction pour la lutte contre la pauvreté. Ce qui devrait permettre aux personnes en situation de vulnérabilité de s’élever et de respirer risque toutefois d’être plombé par l’augmentation des dépenses essentielles.

Cette semaine marque mon deuxième anniversaire chez Centraide. Deux années riches en apprentissages, en rencontres extraordinaires aux quatre coins du Grand Montréal et en découvertes de leaders du milieu communautaire, institutionnel et des affaires.

Lors d’une rencontre récente avec des membres de mon équipe de développement social, j’ai évoqué mon intention d’écrire une chronique sur mes deux ans en poste. C’est cette équipe qui procède à l’analyse des besoins des communautés, travaille en étroite collaboration avec les quartiers, effectue les suivis et met de l’avant les recommandations menant aux investissements sociaux de Centraide dans le Grand Montréal. Elle est donc au cœur de notre mission.

« Qu’est-ce qui a changé sur le terrain, depuis deux ans ? », leur ai-je demandé. La réponse est venue immédiatement : « Eh bien, Claude, tu peux écrire que depuis ton arrivée, le nombre de personnes en situation de pauvreté a diminué de moitié dans le Grand Montréal ! »

Après un bon éclat de rire, et convaincu que je n’ai rien à voir avec cette diminution, nous avons décortiqué la question que je venais de poser.

Au Canada, depuis quelques années, c’est la mesure du panier de consommation (MPC) qui sert au calcul officiel de la pauvreté. Cette statistique donne un portrait du coût de la vie dans une région ou une ville donnée en prenant en compte une couverture minimale des besoins de base. Son seuil est donc relativement bas comparativement à d’autres mesures. C’est ainsi qu’on peut avancer qu’il y a maintenant deux fois moins de gens en situation de pauvreté depuis quelques années…

Dans les faits, près de 500 000 personnes au Québec sont tout juste au-dessus du seuil de faible revenu et demeurent en situation de précarité.

Nous sommes en période de plein emploi. Et puisque le travail à temps plein demeure le meilleur rempart contre la pauvreté, il est attendu que le taux de faible revenu soit à la baisse. Surtout qu’avec la hausse de janvier dernier, le salaire minimum représente maintenant plus de 50 % du salaire horaire moyen, ce qui était l’un des objectifs du Plan stratégique 2019-2023 du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale. C’est une avancée importante dans la lutte contre la pauvreté que nous tenons à saluer.

D’une part, une hausse des revenus ; d’autre part, un filet social tiraillé de toutes parts et qui menace de se déchirer par endroits. Comment concilier ces deux constats ?

Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que les conditions de vie sont déterminées par le revenu, oui, mais aussi par le coût des dépenses essentielles. Les efforts mis en œuvre pour augmenter les revenus des ménages ont beaucoup moins d’impact si le coût de la vie ne cesse d’augmenter.

Et au premier chef de ces dépenses incontournables, on trouve le loyer. L’accès à un logement adéquat et abordable doit être un pilier de tout plan gouvernemental de lutte contre la pauvreté, pour lequel une consultation publique vient de se terminer.

Une conjoncture à saisir

Les chiffres sont clairs : il y a aujourd’hui moins de personnes vivant sous le seuil officiel de faible revenu, mais beaucoup trop demeurent en situation de vulnérabilité. Cette dernière prend la forme de recours aux banques alimentaires, d’anxiété financière, de pression sur la réussite éducative et sociale des jeunes, d’isolement chez les personnes âgées et de précarité répandue chez les nouveaux arrivants.

Le logement doit devenir un grand chantier. Un chantier d’idées, d’abord, basé sur l’expérience acquise dans tous les secteurs. Puis un immense chantier de mobilisation qui mènera à un tout aussi immense chantier de construction.

On ne peut pas compter uniquement sur des théories économiques d’offre et de demande ou une éventuelle baisse des taux d’intérêt. Si c’était une vraie solution, nous ne serions pas dans la situation actuelle. Après tout, il ne s’est construit en moyenne que 1500 logements sociaux par année depuis… 1995.

Les données disponibles ne laissent aucun doute : une augmentation du revenu des personnes, conjuguée à une meilleure accessibilité à des logements sociaux et abordables, sortirait des centaines de milliers de personnes de la précarité. Il faut donc agir sur les causes de la pauvreté et de la précarité, avant que les conditions de vie se dégradent. Sinon, nous continuerons d’avancer en arrière.

Tant d’acteurs, au cours des derniers mois, ont manifesté leur volonté de s’attaquer à la crise du logement… Il y a un mouvement indéniable. La société civile attend un message fort des gouvernements. Le logement social doit être prioritaire, porté par cette volonté que nous avons de construire une société qui prend soin de ses membres les plus vulnérables.