On le sait, le meilleur gage d’une faible empreinte carbone n’est pas la conscience écologique mais la pauvreté. La non-consommation l’emporte toujours sur la consommation « verte ».

Le problème est que la non-consommation est généralement perçue comme une privation. Je n’ai pas les moyens de me payer une voiture, un voyage, un nouveau téléphone. Même lorsqu’il s’agit d’un choix de simplicité volontaire, on le voit plutôt comme un sacrifice. Or, la non-consommation pourrait être célébrée comme une contribution à la collectivité ! Chaque vol d’avion évité et chaque voiture non achetée améliorent notre bilan carbone à tous.

On peut décourager la surconsommation par la taxation, mais il est notoire que la récompense fonctionne toujours mieux que la punition. Supposons que le piéton ou le touriste local nous épargnent collectivement de plus ou moins 2 tonnes de carbone par année, pourquoi ne pas leur octroyer l’équivalent d’un crédit carbone, soit un beau chèque de quelque 150 $ ?

Envoyer des chèques fait toujours sourciller. Pourtant, au Canada, un individu peut obtenir 13 000 $ pour s’acheter une voiture électrique neuve (un achat somme toute luxueux). Sur 10 ans, cela revient à donner plus de 1000 $ par année pour sauver environ deux tonnes annuelles de CO2, soit près de 500 $ la tonne (le crédit carbone est de moins de 100 $/tonne).

Considérant que cet argent va majoritairement à l’étranger, n’est-il pas plus rentable et efficace de payer les gens pour ne pas acheter de voiture du tout ? Et puis, même si l’électrification a ses vertus, celle-ci ne fera que perpétuer la dépendance aux voitures individuelles tout en augmentant la demande collective d’électricité.

L’idée peut sembler farfelue et pourtant un projet de loi prévoyant un crédit d’impôt de 1000 $ par année pour chaque foyer sans voiture est en passe d’être voté en Californie (SB 457). Au-delà de l’écologie, le projet est envisagé comme une mesure de soulagement contre l’inflation pour les familles à revenu modeste, les plus susceptibles de bénéficier d’un tel crédit.

Un triple effet

Réitérons que l’idée n’est pas ici de punir les conducteurs, qui souvent n’ont pas le choix de posséder une voiture, ni ceux qui veulent se faire plaisir avec un voyage : ces deux choses ne seraient pas plus chères.

Il s’agit plutôt de récompenser ceux qui parviennent à faire autrement. Ce faisant, on crée un triple effet d’entraînement : inciter à un effort supplémentaire, augmenter la demande pour des alternatives intéressantes, puis contribuer à la pérennité de celles-ci.

Par exemple : au moment de partir en appartement, le jeune adulte qui recevait son chèque de non-consommation devra y renoncer s’il doit se procurer une voiture. Ce coût d’opportunité rend celle-ci moins attirante tout en augmentant l’attractivité d’un logement permettant de s’en passer. Une fois la décision prise, la récompense vient soutenir financièrement le maintien de cette décision (loyer supérieur, frais de transport en commun, etc.).

Ainsi, la mesure n’est pas seulement un incitatif individuel, mais une subvention au développement de nouvelles solutions de transport. De même, une récompense pour l’abstention de vol financerait-elle de facto les infrastructures de tourisme local.

Un siècle de société de consommation nous a habitués à être récompensés pour nos achats toujours plus nombreux, toujours plus somptueux. Nous savons maintenant que le bonheur n’est pas là, mais les habitudes sont profondes. Puisque la transition ne pourra être que technologique, il faut se donner les moyens de changer socialement et culturellement – et c’est ça le plus difficile.

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