Nous vivons dans une étrange époque. Le capitalisme tel que nous le pratiquons entraîne toute la société dans une sorte d’individualisme effréné, dans un « je-me-moi » frénétique. Pourtant, quand le malheur frappe, quand le feu nous menace, notre naturel revient au galop, le « nous » reprend le dessus. Nous voulons aider notre prochain, nous voulons protéger le bien public.

Avant de parler des citoyens eux-mêmes, un mot sur le rôle absolument crucial que jouent présentement les municipalités.

La crise actuelle, une autre, nous rappelle que, lorsqu’un drame survient, les premières réactions étatiques sont locales. Neuf fois sur dix, ce sont les municipalités, les villes, qui organisent la première réponse à la crise.

Ce sont les maires qui expriment les besoins des sinistrés, qui donnent des mots d’ordre, à qui on demande des comptes.

C’est Manon Cyr, mairesse de Chibougamau – une force de la nature – qui déclare l’état d’urgence, assure l’évacuation de son monde et reste sur place pour défendre sa municipalité jusqu’à la dernière seconde. À l’autre bout de la route, c’est Serge Bergeron, maire de Roberval, qui passe toute une nuit à préparer l’arrivée des évacués de Chibougamau. Leurs équipes, les fonctionnaires municipaux, sont les premières au front, et parfois les seules.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

Manon Cyr, mairesse de Chibougamau, a défendu sa municipalité jusqu’à la dernière seconde.

Surtout en dehors des grands centres, la municipalité est souvent l’unique institution locale ayant une vraie capacité immédiate d’agir. Elle a des fonctionnaires, elle a des budgets, elle connaît son territoire, elle travaille déjà avec toutes les organisations du milieu : les organismes communautaires, les entreprises privées, etc. J’aime à répéter que, lors des inondations de 2017 à Gatineau, l’armée nous a beaucoup aidés. Mais les soldats étaient 70. Nos employés étaient 900 sur le terrain et ils y sont restés des mois après le départ des militaires. En situation de crise, c’est l’État qui nous protège. En dehors des grands centres, l’État, c’est essentiellement la municipalité.

Quand les villes sont affaiblies par leur fiscalité déficiente, ce qui est le cas, quand les villes sont affaiblies par un cadre légal qui les étouffe⁠1, ce qui est aussi le cas, c’est toute la résilience du Québec qui diminue.

Parlons maintenant des citoyens.

La mobilisation citoyenne, elle aussi, est locale. C’est localement qu’on peut canaliser l’extraordinaire volonté d’entraide des gens. Nous voyons présentement de superbes exemples de mobilisation, de solidarité, de don de soi. Des travailleurs ne comptent pas leurs heures et prennent des risques. Des patrons travaillent nuit et jour pour s’assurer de faire les bons choix et donner à leurs troupes les moyens d’agir. Dans des bureaux obscurs, des cols blancs font des plans d’évacuation, commandent du matériel, inventent des programmes d’aide, sacrifient, eux aussi, des heures de vie de famille. Des citoyens, des entreprises, des enfants parfois, prennent initiative après initiative pour aider ceux qui souffrent.

La plus grande partie de ce travail se fait dans l’ombre. Pour une personne qui aura de la reconnaissance, il y en a mille dont on ne dira jamais rien. Le Cid dirait ceci : « Ô combien d’actions, combien d’exploits célèbres/ Sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres. Où chacun, seul témoin des grands coups qu’il donnait/ Ne pouvait discerner où le sort inclinait ! »

Oui, les crises font ressortir ce que nous avons de beau.

Durant les nombreuses catastrophes traversées par Gatineau, s’il y a un groupe dont je n’ai jamais douté, ce sont les citoyens.

Quand on a besoin d’eux, ils sont là. Vous me donnerez certainement quelques bons exemples d’exceptions, mais elles confirmeraient la règle : les individus veulent aider le groupe.

Quand on a demandé aux gens de rester chez eux pour faire de la place aux équipes d’urgence, presque instantanément, les rues sont devenues désertes. Quand nous leur avons demandé d’aider nos cols bleus à faire des sacs de sable, notre capacité de production a doublé. Les dons en biens matériels ont toujours dépassé les besoins des sinistrés. Dès le début de la COVID-19, alors que nous étions tous confinés, les associations de quartier et les associations d’aînés, de leur propre initiative, faisaient des appels auprès de leurs membres pour avoir des nouvelles.

Les citoyens n’ont jamais laissé tomber leur communauté. Jamais.

Quand tout va bien, on peut se perdre dans notre nombril, quand ça va mal on se remet à penser au « nous ». J’espère que les malheurs qui nous frappent auront au moins l’effet de consolider encore notre volonté d’être solidaires et, bien sûr, notre capacité étatique locale de transformer cette bonne volonté en actions concrètes.

1. Lisez la chronique du 19 mai : « La maison de fous, 2190 fois »