Pour bannir Airbnb d’une partie du territoire de Lévis, le maire et la greffière de la ville ont dû signer, chacun leur tour, 2190 documents⁠1.

C’est une anecdote qui vaut la peine d’être analysée parce qu’elle symbolise à la fois la lourdeur du cadre légal dans lequel les villes évoluent et la tendance des gouvernements qui se succèdent à Québec de faire de la microgestion, deux problèmes très liés.

Établissons d’abord que le budget de la Ville de Lévis dépasse celui du ministère du Tourisme et que son champ d’action est plus vaste. Ni le maire ni la greffière n’ont donc de temps à perdre.

Je vous explique maintenant la mécanique en place et ensuite je reviens sur deux problèmes auxquels les villes font face.

La loi provinciale exige que le maire (ou son représentant) ainsi que le greffier de la ville signent tous les règlements municipaux, donc tous les changements de zonage.

Dans le contexte habituel, cela ne pose pas de gros problème : il n’y a que quelques changements de zonage par conseil, par exemple pour permettre un nouveau type de commerce dans une zone, augmenter ou réduire la densité de logement permise, etc.

Toutefois, dans le cas actuel, le gouvernement a voulu rendre la vie difficile aux villes qui tenteraient d’exclure Airbnb. La nouvelle loi exige donc que les changements de zonage soient faits une zone à la fois. En plus, elle facilite aussi la contestation d’un éventuel règlement d’exclusion en réduisant de moitié le nombre de signatures nécessaires pour exiger un référendum pour contrer l’exclusion (donc pour favoriser Airbnb). En conséquence, la Municipalité de Stoneham-et-Tewkesbury, par exemple, devra organiser des scrutins référendaires dans 30 des 96 zones touchées par son règlement.

C’est le premier problème. Le gouvernement devrait laisser les villes contrôler les nuisances qui viennent avec des usages commerciaux, c’est une de leurs fonctions de base. Mais il ne peut pas s’empêcher de s’en mêler. Pourquoi ? Parce que le gouvernement doit, dans tous les scénarios, légiférer sur ce que peut ou ne peut pas faire la ville, alors il s’en prive rarement. Explications.

Même s’il le voulait, le gouvernement ne pourrait pas adopter un principe général et laisser les villes gérer la réalité sur le terrain. Constitution oblige, il doit légiférer sur tous les détails du processus. Tous. Les. Détails.

Dans la Constitution canadienne, le monde municipal n’existe pas en lui-même, il est un champ de compétences des provinces. Les municipalités n’existent qu’à travers une phrase qui affirme que les provinces peuvent en créer si elles le jugent à propos. C’est donc le Québec qui détermine absolument tout ce qu’une municipalité peut faire. C’est ce qui fait dire que les municipalités sont des « créatures des provinces ».

Outre le fait qu’il donne constamment aux provinces la tentation de se mêler des affaires des villes, cet arrangement constitutionnel a comme conséquence de faire du droit municipal un droit d’une complexité hallucinante qui mène à des exercices loufoques comme celui auquel le maire de Lévis et sa greffière doivent se prêter.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Gilles Lehouillier, maire de Lévis

En effet, la Constitution attribue au gouvernement fédéral et aux provinces des « champs de compétence », donc des domaines où les deux gouvernements sont souverains, ils y font ce qu’ils veulent. Évidemment, c’est plus compliqué que ça. Le fédéral a un pouvoir de dépenser, donc il se mêle de tout et les champs de compétence partagés avec les provinces, sont d’éternelles sources de conflits. Malgré tout cela, la situation des villes est pire, car leurs espaces de libertés sont minimaux.

Les villes n’ont pas de champs de compétence propres, elles ont des pouvoirs délégués. Non seulement elles ne peuvent pas faire ce qu’elles veulent, mais elles doivent faire exactement ce que la loi leur prescrit de faire.

Par exemple, auparavant, la loi exigeait que les avis publics de changement de zonage soient publiés « dans un journal ». Il a fallu la changer pour que les villes puissent les publier uniquement sur l’internet. Gatineau a voulu faire un partenariat avec un OBNL pour gérer un complexe sportif, il a fallu carrément un projet de loi privé. Si une ville veut se donner un président de l’exécutif qui n’est pas le maire, l’Assemblée nationale doit légiférer. Des exemples comme ceux-là foisonnent, dès qu’une ville veut innover le moindrement, elle doit demander que la loi soit modifiée.

Bref, les villes sont constamment en train de demander des changements à Québec et Québec a constamment l’envie de se mêler de tout. C’est extrêmement lourd pour tout le monde. Il faudra un jour trouver une solution à cette complexité coûteuse en temps et paperasse. Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir.

En attendant, le maire signe, signe et signe encore.

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