Le discours du premier ministre François Legault au congrès de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) jeudi dernier à Gatineau reflétait ce qu’on aime du premier ministre, mais illustrait aussi le gouffre qui sépare le gouvernement du monde municipal.

M. Legault parlait à la foule avec le ton qui a fait une partie de son succès. Il était franc, direct, drôle aussi (« je suis bien content que le congrès soit à Gatineau et pas à Lévis ou à Québec – je vous dis ça de même ! »). Son discours illustrait franchement, sans fioriture, ses préoccupations à lui. De grands projets d’électrifications sont en cours. Les infrastructures gérées par le gouvernement du Québec exigent des investissements. Les employés de l’État sont en négociations. La capacité de payer des contribuables est limitée, etc.

Et les préoccupations des villes ? Bof. On nous fait la liste des programmes qui peuvent accueillir leurs demandes et pour le reste, « il n’y aura pas de miracles ». Bref, il y a des problèmes ponctuels à régler, mais pas de grands problèmes de fond. Le premier ministre a le mérite d’être clair.

Le gouffre entre la réalité des villes et cette position est abyssal. Je vous détaille deux des principaux désaccords.

Un peu, c’est assez

Le premier ministre s’inquiète de la capacité de payer actuelle des contribuables : il met donc des sommes modestes sur la table pour l’adaptation des infrastructures municipales aux changements climatiques. Les chiffres sont difficiles à cerner, mais on peut dire sans se tromper que les villes demandent au moins 10 fois plus que ce que le gouvernement offre. Pourquoi ? D’abord parce qu’elles connaissent les besoins sur le terrain mieux que le gouvernement, elles ont fait faire des études pour appuyer leurs demandes, mais également parce qu’elles font un calcul à long terme.

Le président de l’UMQ affirmait que chaque dollar investi dès maintenant pour augmenter notre résilience entraîne des économies de 15 $ dans l’avenir. À cet égard, l’exemple néerlandais est le plus éloquent⁠1.

Là-bas, ils ont compris qu’un problème durable exige une solution durable. Ici, les gouvernements gèrent cet enjeu de façon ponctuelle alors que les villes vivent une « pression climatique permanente ».

Le gouvernement limite l’aide aux sinistrés, car il ne veut pas payer indéfiniment. Les villes demandent la même chose. Si on ne trouve pas de solutions durables pour les quartiers touchés, elles continueront de dépenser des millions de dollars à chaque nouvelle inondation. Cols bleus, pompiers, policiers prendront des risques et nous coûteront cher, chaque fois. D’où l’analyse des maires et des mairesses : la menace pour les contribuables est plus grande si on n’investit pas, et ce, dès aujourd’hui. Reconnaître cela, ce n’est pas quêter, ce n’est même pas avoir de la vision, c’est savoir calculer.

À chacun ses problèmes

L’autre désaccord entre les villes et le gouvernement est tout aussi profond. Pour le premier ministre, il n’y a pas de problème avec la fiscalité des villes. C’est pareil pour tout le monde, dit-il, personne n’a de marge de manœuvre. La discussion s’arrête à peu près là.

C’est vite oublier que les gouvernements qui se succèdent à Québec arrivent à baisser les impôts (1,7 milliard juste cette année, 9,2 milliards sur 6 ans !). Même chose à Ottawa : il n’y a pas si longtemps, le fédéral baissait impôts et TPS. De la marge, ils en ont.

Pendant ce temps-là, les villes gèrent 58 % des infrastructures publiques et ne reçoivent que 8 % des taxes et des impôts : elles ont toutes un immense déficit caché en infrastructure.

L’inflation remplit les coffres du Québec et vide ceux des villes. Ni le gouvernement du Québec ni le gouvernement fédéral ne paient toutes leurs taxes municipales. Les deux gouvernements continuent de donner plus de responsabilités aux villes. Elles doivent se mobiliser pour le logement, pour l’accueil des immigrants, pour l’itinérance. Elles doivent gérer des crises climatiques, constamment. Et ne me parlez pas de la qualité de la gestion dans les villes, elles n’ont absolument pas de leçons à recevoir de Québec et d’Ottawa.

Même la création de richesse n’est pas une réponse à leurs difficultés. Dans l’économie d’aujourd’hui, la richesse produite croit deux à quatre fois plus vite que le besoin en espaces physiques des entreprises⁠2. Les villes doivent donc offrir plus de services aux entreprises et aux personnes, mais sans que le nombre d’édifices commerciaux à taxer augmente. C’est la base même de la fiscalité municipale qui s’effrite.

On nous répète souvent que l’argent sort toujours de la même poche, qu’il n’y a qu’un seul contribuable. Il ne faut pas oublier qu’il n’y a également qu’un seul citoyen. Les villes ne sont pas un lobby comme les autres, elles sont les porte-parole de communautés locales, les porte-parole de milliers de citoyens qui ont des besoins bien réels, des besoins auxquels elles peinent de plus en plus à répondre.

Les villes tentent d’être plus efficaces, essaient de diversifier leurs revenus, mais sans l’aide de Québec, non, il n’y aura pas de miracles.

1. Lisez « Inondations : le virage payant des Néerlandais » 2. Lisez « L’économie numérique plombe les revenus des villes québécoises »